Le coin galant

Oh Cyrano, quelle tirade !
Ta faconde débraillée avait tout pour me laisser pantois.
Des possibilités et des avantages que procure un long nez,
je pensais que tu avais fait le tour.
Et pourtant, sans vergogne, je vais te faire la leçon,
car à ta belle fanfaronnade manquait l'essentiel.
C'est, du moins, l'avis d'un coquin libertin.

Est-ce par pudeur que tu t'es tu sur ce régal à nul autre pareil ?
Ce régal dont seuls
ceux gratifiés par la nature d'un bel appendice facial
connaissent l'exquise sensualité. 
Toi, d'ordinaire si égrillard, je te pensais plus averti
en entreprises galantes et en dessous de jupons ? 
Comme je te plains, Cyrano,
si de Roxane, tu n'as connu que les atours.
Pour mettre en rimes ses contours,
il eût fallu que tu les sentes...
M'entends-tu, Cyrano... que tu les sentes !
Sous tes mains d'abord, comme en préambule,
avant de mieux les découvrir... avec ton nez, Cyrano !

À quoi bon ce tarin d'exception
s'il ne te sert à fouiller ces affriolantes femelles
que tu dis... vantard !
... trousser mieux que tous les Gascons ?
Quoi ? Toi, grand cavaleur devant l'Éternel,
tu n'aurais jamais usé de ce coin galant
pour, au cœur d'une toison palpitante,
entrouvrir la tiède caverne,
y fouir au plus profond,
humer dans cet antre béni de Vénus
ces arômes qui fleurent bon l'amante accueillante
et te délecter de ces suaves rigoles de nectar ?
Toi, à la face si bien membrée
et à la langue si bien pendue,
je te vois bien, pendard !
en chavirer quelques-unes cul par-dessus tête
et les ravir à fouiner, nez devant, leurs lèvres secrètes
gonflées par l'émoi d'être fendues avec tant de gourmandise,
et, en vrai fourailleur,
les mains ailleurs fort occupées
à titiller leurs tétons raidis par l'affolement.

Voilà comment j'aime t'imaginer, Cyrano !
Jouisseur impénitent,
avec ton nez de veinard,
prendre et donner du bon temps
à tes amantes conquises par tes avances aquilaines...
avant de, goguenard, par une botte de ta manière,
 (que d'aucuns, cadets envieux de ton appendice,
  nommaient ton fameux tête-à-queue)
arquant leur croupe tendue de désir,
les pourfendre comme un spadassin...
caressant alors de ton nez réjoui
leur nuque encore toute frémissante de plaisir.

Et, quand toutes pantelantes
d'avoir ainsi senti leurs charmes découverts,
leur sexe aussi ardemment investi et savouré,
leur pudeur aussi profondément honorée,
toi, le nez toujours gaillard,
profitant galamment de leur ravissement,
tendrement mais fermement,
tu repasses lentement dans tous les sillons alanguis
ton soc charnu et ravives les fragrances des terroirs secrets.
Habilement, l'œil un brin paillard,
en maître queux consommé,
du bout de ton furet gourmand,
tu réchauffes ces effluves aguichants
et redonnes aux belles diablesses
émoustillées par l'ardeur du jeu
le goût de la bacchanale.

Bougre ! Tu sais y faire en ripaille galante,
et ce n'est point cochon que tu mets en broche
quand se trémoussent mamelles et croupion !
Et les mâtines proprement cajolées
de se répandre en folles caresses,
de s'abandonner à l'ivresse des investigations canailles
de tes mains baladeuses et de tes appendices polissons
en quête, par monts et par vaux,
sur leurs chaudes rondeurs satinées
et au creux d'affriolants touffus,
de sources gouleyantes et de fontaines de jouissance.

Que n'as-tu dit tout ça, Cyrano ?
Malin coquin,
je suis bien certain que,
jaloux de tes conquêtes,
fine gueule amateur des meilleurs crus,
tu ne voulais surtout pas éventer
le secret de ton nez.

© Lou Papio & éditions autodafé, MMX
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