Effet papillon : l'image est colorée. Elle résume ce « principe » qui dit que la perturbation causée par les battements d'ailes d'un papillon pourra affecter, quelque temps plus tard et de façon déterminante, la nature du temps aux antipodes, voire y être la cause d'un cyclone. Avec la prémisse (un battement d'aile) et ses expectatives (d'imprévisibles et colossales perturbations de la circulation atmosphérique), voilà un effet qui pourrait expliquer que, n'eût été l'énergie déployée à grands coups d'ailes lors des ébats tumultueux d'un couple de Morpho cypris dans le Soleil au-dessus d'une frondaison d'hévéas au bord de l'Amazone le mois dernier, l'anticyclone, qui aujourd'hui tenait à distance la dépression qui descendait du nord entraînant une horde de nuages, eût cédé devant le déferlement des eaux venues du septentrion.
Plus techniquement, l'effet papillon porte un autre nom qui laisse un peu mieux transparaître de ses origines mathématiques et informatiques : « sensibilité aux conditions initiales ». En fait, l'effet papillon, c'est avant tout l'effet d'une galéjade poétique qui, par sa licence, autorise à ne pas appeler un chat un chat. S'il fallait prendre l'effet papillon au sérieux, il faudrait alors croire qu'un sourire pourrait changer la face du monde
Dans les prémices de cette fantasmagorie qui met en scène d'inconscients lépidoptères tornadogéniques plus haut en couleur que menaçants, on trouve un météorologue américain, Edward Lorenz, qui eut l'idée, en 1960, de simuler sur son ordinateur un programme météo
une météo dépouillée d'interactions complexes puisque les données de température, de pression atmosphérique et de vitesse du vent n'étaient reliées entre elles que par une douzaine de fonctions mathématiques. Le programme roulant, Lorenz fut surpris de constater qu'en partant de deux états météorologiques simulés très proches, après quelques cycles de calcul, les profils météo obtenus perdaient toute ressemblance. Dans son principe, l'amplification mathématique dont il est question dans le modèle de Lorenz est comparable au développement « programmé » d'une fonction géométrique. Sans qu'il soit besoin d'être un féru d'abscisses, tout pianoteur muni d'un logiciel de graphiques a déjà pu être témoin de ces facéties sans être autrement ébahi. Prenons l'exemple d'une spirale. Trois pixels pointés via une souris suffisent à argumenter les pivots de l'équation qui va piloter le tracé d'un enroulement coquillier
tracé limité, car après quelques tours de programme, les spires vont se perdre dans des espaces extracathodiques. Ce genre de figure est très susceptible : que les coordonnées de l'un des pixels initiaux soient déplacées d'un poil d'écran - sensibilité aux conditions initiales -, et le dessin engendré perd très vite la trace du précédent. Beaucoup plus impressionnant, sans être pour autant beaucoup plus complexe dans le principe, les images « tourmentées » de structures fractales générées par le jeu redondant d'une amplification algorithmique sur les arguments d'une modeste relation algébrique. Qu'un iota soit frôlé dans les termes de l'équation, et le nouveau pattern se déploie dans des enroulements psychédéliques. Mais, regardant les évolutions des vents et le brassage des éléments, faudrait-il croire à ces enchaînements de cascades amplificatrices ? La sensibilité aux conditions initiales dans le cadre de phénomènes localisés est une chose, les modulations d'un système planétaire, certes ardu à appréhender pour être truffé d'intrications et de contingences micro, macro ou méga, en est une autre, car ledit système est par construction pourvu de puissants volants régulateurs qui tempèrent les variations inhérentes aux sautes d'humeur de l'astre irradiant. Même l'humain, dont les ébats et les outrances n'ont rien pour être comparés à ceux d'un papillon, n'a encore pu perturber le rythme des saisons. Suivant le pas orbital, la mousson arrive en son temps, et la neige, grosso modo, c'est en hiver
Et le dernier été pourri
qu'on se serait cru en automne ? C'est le grosso modo qui modulait. S'il agace parfois, il y a longtemps qu'il n'étonne plus personne. |