Prolégomènes
Vent debout
Une tempête d'Équinoxe dévoile impromptu un nouvel horizon, un horizon qui se profile au-delà d'une vastitude jonchée de mythes et de légendes, d'oracles et de chimères, de charmes et de sorts, de dieux et de héros tous fruits composites, croisements de réalités oubliées et de révélations enchantées. Le coup d'oeil est envoûtant. Mais est-ce bien raisonnable pour un scientifique affublé de son très universitaire Ph.D. d'aller folâtrer au milieu de fariboles proprement irrationnelles ?
Faisant fi de la soi-disant dichotomie cérébrale, peut-être aussi parce qu'il était opportun de se rappeler que la Science fut, un temps, d'essence philosophique (ce que rappelle le sigle Ph.D.), l'auscultation commencée avec des histoires à dormir sous les étoiles en vint à prendre un tour plus prospectif… encore qu'il demeura assorti d'un académisme passablement débridé. Une démarche somme toute classique, qui, malgré des discordances quant à la scolastique, ne peut renier ses affinités avec les déambulations des péripatéticiens - les premiers dissidents de l'Académie.
Un tantinet iconoclastes l'allégeance aux dieux des tabernacles ou aux dieux des amphithéâtres n'était pas vraiment un sujet de discorde -, plus simplement parce que nous en étions, on a pu se mêler d'interpeller la science triomphante et la foi opulente des dogmatisants et des dogmatisés, sans vouloir croire - puisque croire était le signe de ralliement de ceux qui savent - que prêtres, grands pontes et énarques qui officient dans un même pandémonium, sous les yeux de l'homo credens repu de précarité, pourraient prendre le temps d'en rire. Aussi, convint-on que l'on ne pouvait faire moins que de parer cette concoction d'un label gourmand rhapsodie - qui dit la fable et la chronique, un peu pour les préceptes, bien plus pour les facéties. Le genre est parmi les plus anciens qui soient, peut-être le plus vieux… en tout cas, un genre où chacun y trouve toujours son conte.
Si, par la nature des sujets visités, Ostinato s'accorde à l'air de son temps, par sa transgression des conventions féales, il détonne au milieu des couleurs charriées par le courant de l'ère qui s'en vient - l'ère du Verseau -, celle sur laquelle nombre d'affidés, en plein délit d'initiés, misent à tout va, sûrs du retour de la quête spirite et du réveil des espérances mystiques.
Sous le joug de la foi
Empiécé comme un tissu d'arlequin dont les lopins bigarrés sont toujours le fruit des histoires des hommes, Ostinato habille une cosmogonie dont le corps indécis révèle les traits de l'harmonie éclatée, recèle les secrets de la résonance.
Un vol de goélands et un papet à bicyclette servent de prétexte pour planter l'argument: l'intrication des fois qui font la loi.
Dans cette jungle, où les obédiences font si bien florès, les travers frayés au cours des âges ont toujours très vite été repris par le couvert théomythologique, et les velléités libertaires ont dû, chaque fois, en rabattre avant même d'avoir pu prendre racine.
Il n'y a là aucune fatalité, seulement un fatras eschatologique savamment entretenu… dans tous les registres, les canoniques comme les académiques. Gonflé par le fourmillement des rencontres, par le foisonnement des collisions, le flot montant de la communication, pour s'être laissé canaliser entre les digues composites de credos toujours plus conjuratoires, a perdu de vue l'essence même de sa « raison d'être ». Dogmes et doctrines, étayés de théories scientistes et d'idéologies hétéroclites, contrôlent les risques de débordement. Si, en surface, on perçoit parfois des vagues, l'écume finit toujours par s'échouer et sécher sur une berge « où ne pousse que l'alchémille ».
Plus d'une fois, des brèches ont été entamées par des rebelles en mal d'émancipation. Pour avoir pas mal essayé, la bande des Ioniens – la génération Thalès, celle de l'aube de la Philosophie – y a récolté la division des méninges… les cerbères d'Athènes veillaient au grain. Les fissures de surface ont été vite colmatées et les credos aussitôt renforcés.
Inéluctable cours de l'Histoire ? Ces digues n'ont pas toujours été là ! Au temps de la naissance du Zodiaque, le Ciel était encore vierge de dieux et les prêtres ne s'étaient pas encore immiscés pour le prostituer.
Plusieurs des histoires d'Ostinato tirent leur substance de ce sédiment des servitudes sur lequel repose l'assise du remblai concentrationnaire. C'est par là, en piochant à la base, qu'il pourra être percé. Obstinément s'ourdit la grande évasion.
Beaucoup de tentatives ont avorté… L'une d'entre elles est aussi célèbre qu'inconnue. Il y a de ça deux-mille ans, son auteur – le dernier des Ioniens – y a laissé sa peau et ses illusions, pour le plus grand bénéfice d'une clique de coreligionnaires plus sourds que complices.
Singularités génésiaques
L'une des premières pistes suivies débouche, et ce n'est pas un hasard, sur le poncif des Origines. Cette affaire a ses doctes: clercs ou laïcs, tous maîtres ès foi, consacrés ès Genèse ou ès Big Bang, témoins du Très-Haut ou disciples de Planck et de Darwin. Et s'il est de bon ton parmi tous ces savants d'entretenir la controverse entre les tenants de l'orthodoxie du ex nihilo et les stratèges des vérités stochastiques, ce n'est que pour mieux garantir la pérennité du modus vivendi qui accommode les différentes chapelles de l'intelligentsia des croyants de toutes venues, et préserver les dogmes révérés de la fouine du vulgum pecus.
Dans sa cavale, le conteur, qui aime à se faire passer pour un évadé de cet aréopage de croyants, ramasse la dispute dans une fable aux singularités « éclatantes » qui prélude à un credo bien peu quantique: Croire en l'immortalité de l'Univers, c'est parier sur le triomphe de la Mort. Égrenant sur des airs connus, entre les deux brins d'une seule apostille, son chapelet de perles de falbala, Ostinato exhume, du trop de lumière qui le rendait invisible comme une étoile en plein jour, un titre primordial, un titre qui établit la légitimité de l'ascendance de l'Univers, assoit la reconnaissance de sa naissance. L'Histoire porte dans ses histoires, d'ici ou d'ailleurs, d'hier ou de demain, l'empreinte de sa conception et les stigmates de son premier souffle ce déchirement qui éructa, dans un déferlement de vibrations, hors de tout diktat magique, hors de toute contingence, l'Espace et le Temps.
Alors, hormis la zazenique indifférence, la froide ataraxie ou le flegme olympien, de deux choses l'une, la « révélation » de cette filiation, parce qu'elle se laisse appréhender sans le recours au Canon, parce qu'elle ne monnaye pas son crédit dans le nimbe d'un acte de foi, parce qu'elle n'a que faire de l'aura d'une loi sur mesure, ou elle emporte l'intime conviction ou elle déchaîne les foudres de l'armada des croyants de tout poil, les fous de Science comme les fous de Dieu.
En « découvrant » que l'Origine a bien une cause et que l'Évolution subséquente, ses lois et ses détours relèvent de l'atavisme dans sa forme la plus essentielle, le futur, s'il ne perd pas son caractère hypothétique, au moins, voit-il se déliter quelques-uns de ses crédits: ceux dévolus au Hasard et à la Providence sont du nombre.
Le sort fait à ces dieux - Hasard et Providence - et à leurs serviteurs pourra passer pour des calembredaines d'athées peu enclins à souscrire à l'aléatoire ou au fatum. Il y a sûrement de ça… mais comme on s'est rappelé que Rabelais, tout curé qu'il était, avait su trouver des accents assez débridés pour délivrer ses aspirations humanistes, et que ce moine-médecin avait gravé dans son credo que « le rire est le propre de l'homme », alors on s'est rabattu sur ce capital encore exempt de crédence, et, sans réserve sur les histoires bénites ou scientifiées (un ton en dessous quant aux freudaines des négociants en psyché frelatée), on a pris le parti de rire.
Mosaïque
Ainsi va Ostinato. Débauche d'eurêka, pasquinades libertines… pour mieux sauter vers plus de densité. L'esprit des lois, quelques doctes théories astrales et autres fantaisies augurales sont revisitées sans autre vergogne que celle du plaisir immodéré de l'investigation facétieuse et de la découverte inopinée. Pensez, on avance, contre tous les avis érudits, que la Lune n'aurait rien d'une toupie, et, à côté de ça, on fait une promotion éhontée du Yi King!
Perle de bon sens, le Zodiaque, dans une version inconnue des horoscopistes aussi bien que des exégètes de la Genèse (bien que ce chronographe céleste y figure en première page, et dans son acception la plus authentique), sera le parangon de ces réminiscences d'histoires qui avaient été écrites à l'encre d'étoiles. Pour ça, pas besoin d'être devin ou grand clerc pour être assuré que les fondus de radix et de cartes du Ciel y trouveront leur content de charme sidéral…
Quelques figures emblématiques, Jeanne d'Arc, Moïse, Photios et d'autres, dont les histoires sont passées à la postérité pour enchâsser l'orthodoxie de l'Histoire, viennent rappeler que vérité a souvent rimé avec nécessité. On rencontrera aussi cette généalogie de penseurs obstinés qui apparaît avec le plus ancien des Sept Sages et qui s'achève avec le dernier des Ioniens. L'un était Milésien, l'autre Galiléen.
… Chacun, renvoyé à son propre jugement, à son libre arbitre, affranchi des rails du prosélytisme - c'est tout l'intérêt de la démarche heuristique -, pourra se griser les méninges avec l'idée que la Source du Vivant, si elle n'a pas grand-chose à voir avec les caprices d'un démiurge en mal de compagnie, est, en revanche, par essence et hors de tout credo, chargée de vibrations héritées de l'Amour-complice.
Aussi, comme Ostinato puise là où les rêves s'enracinent, là où le temps et l'espace se confinent, il répand une espérance onirique: homo credens défroqué essaie un habit neuf coupé dans un brocart de sapience.
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