Bon sens ne saurait mentir
Cela remonte à bien des lunes, je ne saurais dire combien, mais beaucoup. Depuis lors, mon calendrier interne s'agence autour de quatre jalons : les deux équinoxes et les deux solstices. Le 1er janvier, issu ou pas d'une bulle papale, n'a jamais eu pour moi la magie d'un solstice d'hiver, ou plus encore celle d'un équinoxe de printemps. Émotion d'un solstice d'hiver. La nuit qui n'en finit plus d'engloutir la lumière voit celle-ci se rebeller et se mettre à entamer l'ombre de l'astre du jour. Dans l'Antiquité romaine, cette transition était saluée par de joyeuses festivités : les saturnales se mêlaient à la célébration du culte de Mithra, dieu solaire vainqueur des ténèbres. Source de syncrétisme, le rythme des saisons, harmonisé par le tempo donné par l'astre-roi, a entraîné les premiers chrétiens à s'associer à ces fêtes du solstice d'hiver, symbole de renouveau particulièrement propice à satisfaire l'esprit de la Nativité. Depuis, les intempéries du calendrier ont fait déraper Noël de quelques jours
l'éloignant d'autant de son sens originel. Un décalage de quatre jours, me direz-vous, en quoi et pour qui cela peut-il bien avoir de l'importance ? Cela doit être de peu d'importance en effet, puisque l'autorité suprême, en l'occurrence le pape Grégoire XIII, instigateur de la correction du calendrier julien en 1582, n'a pas jugé bon de saisir l'occasion de cette réforme pour rétablir et installer durablement Noël dans son bon droit, celui de ses origines. Quatre jours, c'est peu, soit ! mais « après la fête, adieu le saint » dit l'adage irrévérent qui, en l'occurrence, s'identifie à un plus trivial « après la date, au diable le sens ». Et sur ce dérapage se glisse une cocasserie presque trop facile. Qui s'est soucié de cet avatar géographique auquel ont dû faire face les missionnaires partis à la conquête des païens de l'hémisphère sud lorsqu'ils ont voulu expliquer le sens de Noël à leurs catéchumènes ? En ces contrées barbares, le solstice de décembre marquait - marque toujours - le début de l'été austral, soit le moment où les jours recommencent à perdre de la lumière. Si le symbole du renouveau avait eu plus d'importance qu'un pseudo-anniversaire de Jésus, au sud de l'équateur, la Nativité se fêterait autour du 21 juin. Mais la question n'a jamais dû se poser, car le recrutement de nouveaux ilotes, fidèles inconditionnels, ne laissait guère de place pour de telles fariboles
La casuistique ne saurait être affaire de calendrier. Un pas vers l'oubli des origines, transmission d'un sens tronqué : le symbole originel s'est effacé devant une préséance votive.
Signes d'apocalypse ou Party story Puisque dans quelques pages il sera question du Zodiaque et de ses signes, autant en prendre le ton dès à présent sans autre transition qu'un simple ricochet sur une histoire de Noël
une histoire qui recèle quelques accents karmiques. Le décor est celui d'un party de Noël, une de ces petites sauteries arrosées qui font partie des coutumes sociales en Amérique du Nord vers la mi-décembre. Dans les universités chaque département donne réception ; aussi, avec une habile planification, vous pouvez pendant une bonne semaine socialiser chaque fin d'après-midi, et ainsi établir, renouer ou démystifier des connaissances. La complicité des libations facilite la communication, dissout la hiérarchie, porte aux confidences. Ce qui suit se passe dans un département de biochimie, et, vous allez comprendre pourquoi, je me souviens qu'il s'agissait précisément d'un 21 décembre. La soirée n'était pas encore trop avancée lorsque j'ai entamé une discussion avec un collègue du département voisin où l'on s'adonnait aux prémices des pratiques de la génétique. Après une prise de contact dans un échange banalement de circonstance avec enzymes, opérons et autres mutations, je ne sais plus comment - la date y était assurément pour quelque chose - j'ai glissé dans la conversation le solstice et une allusion à la dérive de Noël. Mon interlocuteur, qui s'est avéré être un croyant convaincu et un féru de métempsycose, en savait long sur la question. « J'ignore si Jésus est né le 25 décembre. Peut-être pas, mais peut-être que, car il est possible à une chance sur trois-cent-soixante-cinq que ce soit juste, ce qui dans les jeux de hasard est une probabilité très élevée. Alors, pourquoi pas. Mais, par contre, ce qui ne fait pas de doute, c'est que le Christ ainsi placé sous le signe du Capricorne - le symbole de la connaissance ésotérique - figure bien le prototype de l'individu capable d'accéder à une conscience supérieure et d'être une lumière qui guide les initiés et tous ceux qui cherchent avec foi. » Mon compère, dont le ton insensiblement avait pris des accents prophétiques, est alors devenu franchement prolixe. « Et, plus important encore, est le signe dans lequel le Christ se réincarnera lors de son retour. Il reviendra dans le signe qui suit celui de sa dernière incarnation, le signe du Verseau qui est celui de la connaissance achevée. Il aura alors la pleine maîtrise de la Lumière et de l'Énergie cosmique. Face à face avec Dieu, il sera son égal. » À n'en pas douter, l'extase était proche. Comme j'avais affaire à un spécialiste en génétique, sur ses histoires de hasard et de probabilités, je lui accordais le bénéfice de ses allégations. Quant au reste, conjectures astrologiques au parfum mystico-karmique, mon bagage ésotérique ne me permettait pas d'argumenter sur le contenu christique des attributions généthliaques. Devant un tel acte de foi, je restais plutôt pantois. J'aurais souhaité avoir des éclaircissements sur la signification de « chercher avec foi », car si l'individu - je parle du narrateur - était perplexe, le chercheur, lui, avait là quelques difficultés d'adaptation conceptuelle
mais une tiède brume éthylique commençait à rendre épais les propos du maître ès gènes et il n'était plus temps de chercher à en savoir davantage. Peut-être aussi qu'il avait tout dit. De toute façon, n'étant pas en état de grâce, je n'étais pas disposé à me voir muter en prosélyte. J'avais tout de même enregistré qu'il avait établi, sciemment ou pas, une différence notoire entre le prénommé Jésus et l'institué Christ. Plus tard, au cœur de cette première nuit de Capricorne, la plus longue de l'année, je l'ai raccompagné chez lui sans autre forme de révélations. Signes de jour de l'an Il me faut ici concéder que mon engouement pour le solstice d'hiver est celui de quelqu'un qui n'a jamais quitté l'hémisphère boréal, mes pérégrinations ayant plus emprunté aux longitudes qu'aux latitudes. C'est pourquoi, à chaque 21 décembre, j'ai une pensée compatissante pour ceux qui de l'autre côté vont voir la nuit s'emparer du jour. A contrario, le solstice d'été devrait déclencher un peu de jalousie envers les chanceux qui commencent un nouveau cycle à la hausse, mais les fastes de l'été naissant occultent alors toute pensée à la baisse. L'aube des deux équinoxes, alors que là-bas, vers l'est, le Soleil culmine au zénith de l'équateur, cette ligne si réelle qu'elle en est devenue mythique, ravive toujours ce vieux manque juvénile : être à cheval juste dessus, là où la Terre tourne le plus vite (à près de 1700 km/h), partagé entre les deux hémisphères, un pied de chaque côté, une moitié en été, une moitié en hiver
Latitude zéro, tu ne perds rien pour attendre. Dans l'Antiquité, les Égyptiens fêtaient le début de l'année lors de l'équinoxe d'automne. Ce fut aussi, en 1792, la marque choisie par la Convention pour fixer l'ouverture de l'an I de la République française. Je garde un faible pour l'équinoxe de printemps, aube de la renaissance, temps de l'éveil, temps où les chrysalides vont sortir de la grise dormance dans un bruissement de couleurs, initialisation d'un cycle nouveau, manifestation du karma de la planète. Indéfectiblement, l'équinoxe vernal marque mon jour de l'an. Comme je l'ai appris depuis mon premier cours sur Ostinato, c'est toujours ce repère qui fixe l'ouverture de l'année au calendrier des astrologues, et cette origine est demeurée placée sous le signe du Bélier, réminiscence d'un temps où le Soleil venait signaler cet événement sur cette constellation, alors qu'en cette fin de XXe siècle le premier soleil du printemps boréal vient signer l'ouverture de « la nouvelle année » sur la constellation à l'enseigne des Poissons. Ce hiatus entre Bélier et Poissons restait comme une bizarrerie, et je ne m'expliquais toujours pas comment, en astrologie, on pouvait prétendre conduire des consultations et les assortir de prévisions sur un calendrier faux. C'est bien sur ce biais, l'aberration du Zodiaque et de ses prétendus signes, que repose l'assurance des détracteurs de cette mancie affiliée aux astres. Cadran solaire originel La découverte du Zodiaque, ou plutôt son invention, car c'en est une, remonte aux origines de l'Histoire
l'histoire des peuples policés. Une origine qui doit bien avoir dans les cinq à six-mille ans. Peut-être plus
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas si vieux, car l'âge de cette découverte sera toujours très jeune en regard de « l'âge » du genre homo. (Cette origine-là est plus floue : les estimations se situent dans les deux ou trois-millions d'années, avec une fourchette large de quelques bonnes centaines de milliers d'années, ce qui, compte tenu du peu connu qui sert à bâtir les théories, est une précision plutôt fine.) En ces temps de mutations profondes qui allaient marquer la fin de ce que les historiens appelleront la Protohistoire, le plus vieux métier de l'Histoire, le métier de la terre, était encore jeune - aujourd'hui, on dirait expérimental -, et les aléas d'un temps aux cycles mal assimilés lui occasionnaient encore bien des déboires. L'allant, qui allait faire des paysans-cultivateurs les artisans de la croissance, se forgea avec l'aide de chercheurs en quête d'un chronomètre. Le Zodiaque est un génial instrument de mesure, un authentique chronographe. Sa conception a bénéficié d'une symbiose alors naturellement efficace entre la force de l'intuition et la jeunesse du raisonnement. D'une transcendance pragmatique, la pertinence de ses prévisions a révolutionné les mœurs et les coutumes de ceux qui ont eu vent de ses secrets. Le Zodiaque délivra la maîtrise du temps. Rien de moins. Il compte au nombre des découvertes qui ont bouleversé la face du monde
Le Zodiaque, appariteur du temps, au temps où le temps n'avait pas encore été annexé et asservi par les sbires de Chronos. On était aux portes de l'Histoire, car l'Histoire ne vit qu'à travers des peuples qui ont suffisamment de ressort pour la faire - ce ressort n'ayant eu guère d'autre synonyme que force armée - et de « mémoire » pour la raconter. En deçà, dans les prémices, il s'agit d'Histoire en gestation, de Protohistoire. L'émergence de peuples suppose que des noyaux embryonnaires aient su se doter d'une politique démographique efficace, en d'autres termes développer les moyens de nourrir plus de monde, donc de transformer cueillette et chasse en culture et élevage. Dans une ère où la science agraire, qui fut d'abord observation des proliférations sauvages, commençait à intégrer les « mécanismes » qui allaient conduire à substituer une stratégie de production à une économie de dépendance, la planification d'événements aussi essentiels que le retour des saisons fut l'avancée majeure qui allait susciter la première grande poussée démographique et fixer les termes de la stratégie civilisatrice. D'abord latente, faite d'essais aux fruits aléatoires, l'agriculture ne devint une révolution que lorsqu'elle reçut l'impulsion qui lui permit d'avoir une action structurée. Cette impulsion, c'est le Zodiaque, héraut des saisons, qui va la lui donner. Le Soleil avait bien été suspecté d'une certaine responsabilité dans l'entretien des saisons, mais quant à concilier sa course avec le cycle des échéances des fructifications, le départ des tourterelles, le retour des hirondelles, la venue des périodes de sécheresse ou de frimas, les caprices des fleuves charriant l'eau et le limon qui fertilisent les sols, et toutes ces thymies de la Nature, il y avait là une difficulté de perception qui inhibait la formation des associations
une de ces difficultés de perception qui ont toujours fait les beaux jours des théories dans la maturation des nouveaux concepts - des concepts qui, plus souvent qu'on ne saurait le croire, ne « vivent » que par la foi gorgée d'artifices spécieux (2). Bref, pour gommer cette difficulté, il y avait une marche à franchir
Le genre de marche qui marque les véritables changements d'ère. Mais tout d'abord, cette difficulté de perception. Elle est banalement optique. L'oiseau, le fait est avéré pour de nombreuses espèces, particulièrement les migratrices, voit les étoiles de nuit comme de jour et intègre leur mouvement dans sa perception du temps et de l'espace. Cette aptitude lui permet une navigation à l'estime des plus précise. Au travers de l'œil humain, les étoiles demeurent des luminaires nocturnes que l'astre du jour éteint dès qu'il paraît. C'est sur cette ligne de partage entre le jour et la nuit que s'est faite la première connexion qui allait être à la source de tout un réseau d'entendements et de disputes. De nuit, les mages étaient capables d'établir une carte du ciel étoilé. À la frontière du jour, les premiers éclats du soleil venaient cocher un point de la carte qui s'estompait. Et, aube après aube, la marque laissée par la projection du soleil levant progressait sur la toile de fond bleu lapis tant et si bien qu'elle finit par compléter un tour pour revenir en coïncidence avec la première inscription. Dans le temps de cette révolution, tous les changements, toutes les humeurs bien connues de la Nature s'étaient exprimés, et, avec ce retour, l'air exhalait à nouveau des parfums connus. Coïncidence ? Il en fut ainsi pendant des tours et des tours. La chaîne scintillante des mages se montrait précise et fiable ; à ses maillons s'accrochaient des prévisions sans faille. Cet arpentage du Ciel sur un anneau d'étoiles (qui sera plus tard dénommé le Zodiaque) fixa la longueur d'une année. Les saisons avaient une horloge, et leur cadran céleste était inaltérable
enfin, à vue de vie d'homme. Ainsi, pour pouvoir comparer et transmettre leurs observations, les astronomes de la très haute Antiquité, alors qu'aucune hégémonie ne venait diviser des villes qui n'existaient pas, au cœur de leurs observatoires d'argile, ont cherché à se doter d'un système de repères facilement utilisable, en quelque sorte un moyen de standardiser leur mode de lecture et de transcription. La voûte céleste, avec la permanence de ses étoiles qui dessinaient des formes stables, était toute désignée pour remplir cet office. Sur cette voûte, la bande étoilée où s'inscrivait l'apparition du Soleil s'est imposée comme chronomètre, et les étoiles qui figuraient dans cette ceinture en sont devenues les fanaux et les graduations. La fiabilité de ce système de repérage a vite conduit à une estimation très précise de la durée de l'année
Mais une fois que cette découverte chronographique fut intégrée et devenue patrimoniale, ses applications n'ayant que peu d'accointances avec le militaire, elle n'a trouvé pour être perpétuée que le biais d'une construction ésotérique
Un comble, car, du Zodiaque, revisité dans sa conception originelle - un système de repères pour observer et mesurer des phénomènes extraterrestres naturels -, ne transparaissent que des éléments pour le moins rationnels, frappés du sens dit commun. Et, il n'y a pas à s'y tromper, dans l'ombre des ziggourats, berceaux des arcanes célestes, les priorités n'avaient pas une essence différente de celle qui excitera les astrophysiciens d'aujourd'hui et de demain. Observer et mesurer pour comprendre
et aussi, corollaire - la recherche n'est pas gratuite, elle a une finalité -, pour user et disposer.
Mensualisation sélénite
Pour exprimer une lecture du temps adaptée aux changements de physionomie de la Nature, il convenait d'introduire des divisions dans le cycle annuel. Dans le cycle long du Soleil s'inscrivaient les cycles courts de la Lune : douze dans une année. Ce mode de partition aux attendus pleins de bon sens s'est installé naturellement, et le ruban incrusté d'étoiles qui servait au repérage s'est retrouvé, pour les besoins de la cause, découpé en douze tronçons. Héritiers de cette science naturelle, en Mésopotamie, les Sumériens affichaient le décompte des jours et des années sur un calendrier qui associait les courses du Soleil et de la Lune, l'harmonisation - le raccordement - des deux cycles se faisant aux bénéfices de quelques jours de fêtes. Trimard astral
Observateurs assidus de la voûte céleste, les premiers mages dépistèrent, parmi les étoiles « fixes », cinq astres dont les courses bizarres, comme erratiques, avec des périodes de marche arrière, s'inscrivaient dans une étroite bande du ciel, et cette bande présentait une remarquable continuité avec la voie sur laquelle circulait le Soleil
de jour. La découverte de ces luminaires en mouvement a pu être établie grâce à des observations répétées, jour après jour, pendant des décennies, mais aussi, et surtout, en raison de leur localisation sur un système de référence précis : les étoiles de la ceinture zodiacale associées en constellations. L'étrangeté de leurs évolutions, avec des déplacements récurrents, est à l'origine de leur dénomination générique : planêtês en grec signifie vagabond (le vocable chaldéen, à n'en pas douter, avait très certainement un sens similaire). Ces curiosités d'alors nous sont connues sous les noms de Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Avec le temps, on finira par comprendre que la singularité de ces astres, qui agrémentaient leur course d'une boucle, était la conséquence d'une « vision » géocentrique de l'Univers, car, en dépit de quelques velléités héliocentriques particulièrement impies et vite réprimées de chercheurs facétieux s'évertuant dans leur lointaine Ionie - comme Aristarque de Samos (3) -, la Terre était - et restera encore longtemps - perçue comme le centre de l'Univers
La version héliocentrique dûment entérinée du système planétaire n'a pas encore quatre siècles. Conception immaculée Les mages s'étaient donné pour mission de relier le Ciel et la Terre, de trouver dans cette association les ressorts de l'organisation des cycles de la Nature. En ce sens, ces mages originaux étaient, à proprement parler, des religieux
et on va voir pourquoi. Au début de l'Histoire, l'étude de la circulation des astres - plus tard, on dira la cosmologie - était une affaire sérieuse dont allait dépendre le destin des peuples à venir. Si le « poliçage » finira par avoir un effet dégénératif certain sur la noble fonction de mage, pour ces chercheurs, à l'origine, il s'agissait d'établir un lien qui permettrait de comprendre l'influence du Ciel sur la Terre, car l'intuition signalait qu'il y avait là une corrélation. Pour la rendre intelligible, l'intuition devait s'assurer le concours de l'intellect. C'est ainsi que de la conception du Zodiaque, première règle de concordance, allait naître la religion, religion sans artifices, exempte de toute vénalité, parfaitement heuristique. Le Zodiaque, une religion ? Certainement. Ce n'est pas parce que des hordes d'affidés des cieux n'ont cessé de déverser dessus leur surnaturel délétère que la religion a perdu son sens originel. Au contraire, il s'est préservé
au cœur d'une gangue stérile. Redécouvert, il laisse à nouveau paraître la véritable raison d'être de la religion, celle du sens inscrit dans l'étymologie du mot : ce qui relie, ce qui met en relation, ce qui fait communiquer. C'est sur cette aspiration à découvrir des liens, dans la foi d'une vocation à associer la trace du Soleil aux saisons qui donnent le rythme de la vie sur Terre, que le Zodiaque va devenir la marque et l'expression d'une alliance entre l'ici et l'au-delà. Pour se rapprocher du Ciel, ausculter l'azur, déflorer l'occulte, on érigea des ziggourats, tours œcuméniques d'observation astrale. Les mages, scrutant les chemins du Ciel, poinçonnant dans la glaise molle les images scintillantes, y ont décrypté les lois de leur foi. La science des mages chaldéens n'était pas magie, l'épistémè se fondait alors sur l'observation. Les humeurs périodiques qui animaient la Nature obéissaient bien à des cycles inscrits dans le Ciel. La corrélation alors établie était irréfutable. Elle s'appuyait sur des observations et des repérages parfaitement maîtrisés qui ne laissaient pas de place au doute. La démarche, peut-être parce qu'elle était naturelle - le repérage est la forme élémentaire de la mesure -, est devenue classique. Toutes les associations un tantinet scientifiques ont toujours été fixées de la sorte
dans l'observation et la mesure. Cette communication établie - la religion est là -, elle apportait la révélation d'un ordre naturel. C'est en se soumettant au rythme des cycles de la Nature que l'humain pourra le mieux en disposer. Cultiver suivant le plan des saisons, puis domestiquer
Dominer
Oublier. À proximité des ziggourats, dans la vallée de l'Euphrate, de la coalescence de tribus éparses venues expérimenter la nouvelle politique agraire aux promesses nourricières, s'ébaucheront les premiers bourgs : Babel, Éreq, Akkad, Ur
Avec cette « révélation » apprise du Ciel, l'Histoire commence, l'humain dispose d'un nouveau statut
Celui de mangeur de pain.
Ecce homo
En ces temps de genèse de l'Histoire, l'ordre du jour avait encore la douceur de la Terre non fouillée. Le cuivre, sorti de veines à fleur de terre, trouvait à se rendre utile alors que l'on ne pensait pas encore à croiser le fer qui était toujours enfoui. Au juste, du fer on ne connaissait que celui venu du Ciel, le fer météorique, le fer sidéral (4) qui, comme il se doit, doté de vertus astrales, viendra se mêler aux parures des jours de festivités « religieuses ». En ces temps de genèse de l'Histoire, les astres de l'anneau magique ont alors influencé la Terre si fortement que les effets de cette influence-là résonnent encore aujourd'hui. Effets d'une fécondité multiplicatrice qui sera présentée, une fois l'oubli du lien de coordination originel consommé, comme une prescription à sanctifier, car
venue d'« en haut ». « Soyez féconds, multipliez, pullulez sur la terre et la dominez. » (5) De cette ordonnance, on usa et abusa
sans prendre soin d'examiner la nécessité de décrets d'application. Et, beaucoup de douzaines de lunes plus tard, longtemps après que la diaspora réclamée par le peuple de la plaine couverte de sillons eut poussé vers d'autres horizons les familles d'éleveurs avec leurs troupeaux qui consommaient trop d'épis, lorsque viendra le temps de fixer la chronique du temps de cette genèse, il n'en restait plus que des souvenirs évanescents. L'une des plus connues sera cette vieille rhapsodie, chanson de geste transmise au travers des descendants d'une tribu de pasteurs qui avait subi la loi d'éviction. On y retrouvait l'évocation du bon-vieux-temps alors que l'abondance naturelle subvenait à tous les besoins et que l'on pouvait « manger du fruit de tous les arbres du jardin ». L'aède, en bon griot, dans un foisonnement d'artifices explicites, jouant à se faire l'avocat du diable, y contait les excès et les conséquences de la concupiscence. Le « jardin » avait ses limites, les limites d'un équilibre, et, à consommer tous ses fruits, on dévastait ses semences, on le privait de sa renaissance coutumière
alors que la semence de l'homme était fertile. L'abondance du jardin, de cocagne bascula dans le congru. Il fallut quitter l'Éden razzié et apprendre à tirer du sol sa subsistance. « Caïn cultivait le sol
Abel devint pasteur de petit bétail. » Et, comme bien souvent dans ces histoires venues d'Orient, on y retrouve un génie qui, tantôt bienveillant, tantôt sourcilleux, parfois susceptible, voire franchement odieux, vient se prévaloir de son aide sans laquelle tout ne pourrait qu'aller de travers. Ficelle classique qui fait les délices des petits. Des délices à la malice, cette ficelle entravera les grands pour des siècles et des siècles. Le conteur, dans l'histoire qui lui est parvenue, a conservé le souvenir confus du Zodiaque. Il sait encore qu'il a dû être essentiel au début de l'Histoire et qu'il avait quelque chose à voir avec le décompte des ans. Il racontera comment El Shaddaï, le génie, alors d'humeur astucieuse, forgea la clé du temps et prit soin de préciser la façon dont il convenait de s'en servir. Plus tard, dans la transcription qui en sera faite sous la houlette de nouveaux hérauts du Ciel, le génie prendra du galon, ce qui, du coup, donnera à l'histoire une validité a posteriori incontestable. « Dieu dit : Qu'il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour et la nuit ; qu'ils servent de signes, tant pour les fêtes que pour les jours et les années
» (6) Enfants du Zodiaque Le Zodiaque, dans sa version primitive, sera pour un temps - le temps de comprendre que l'on pouvait s'en passer en tenant le compte des jours et des lunes - un instrument essentiel de la gestion du temps. La première « religion » sortie des ziggourats, religion aux arguments laïcs, avait produit les effets promis : prospérité, croissance et multitude. Avec la force de l'habitude, et comme chacun pouvait compter douze lunaisons et organiser la vie des champs sur ce simple agenda, s'en vint le temps où de ces ziggourats originelles, on n'eut plus besoin. Lézardées, abandonnées, sur leurs ruines, on en reconstruira de nouvelles, plus orgueilleuses, qui seront appelées à servir dans des fonctions moins civiques, moins naturelles. Quelques générations plus tard, le temps que s'érigent les premières cités et que s'installe l'oubli, nos mages-astronomes, autoinvestis des fonctions de prêtres, se sont faits les chantres d'un besoin naturel de surnaturel. Puisque les cycles de la Terre avaient pu être lus dans le Ciel, on pouvait faire valoir avec tout le sérieux requis, un sérieux quasi scientifique, que le Ciel détenait un pouvoir sur la Terre. Logique simple d'un postulat dont la validité ne sera jamais vraiment érodée, assise très convoitée d'un prosélytisme lucratif qui justifiera bien des exactions contre nature et toutes sortes de séditions théologales contre la Nature. Influence pernicieuse de la civilisation que les interprètes originaux du Ciel n'avaient pas prévue : du mage futé qui recherchait dans les astres une complicité, ne restait qu'un prêtre affidé en quête de prestige. (C'est là que l'on retrouve le sens premier de prestige : illusion dont les causes sont surnaturelles, magiques.) Ces vicissitudes sont l'essence même de l'Histoire. Elles en donnent aussi le sens. Des prévisions des saisons, ces « parvenus » avaient compris qu'il n'y avait plus rien à attendre, mais, sans nul doute inspirés, ils n'avaient pas tardé à comprendre aussi que, bien géré, le Ciel pouvait encore être une belle source de profits. Pour ce faire, il convenait que le Ciel soit habité
par des dieux. Seuls des dieux pouvaient détenir le pouvoir de contrôler les « éléments », de décider des vicissitudes des peuples, d'orienter le destin des hommes. Le Ciel avait, depuis toujours, exercé une fascination instinctive ; le scénario d'un ciel animé ne pouvait que satisfaire ou exciter les appétits inconscients de « magie ». Comme une nouveauté, l'empyrée devint très convoité. Les modalités de son occupation seront multiples et laissées à la discrétion des clercs qui rédigeront le bail selon l'état des cieux locaux et de l'entichement des consommateurs. Le mage devenu prêtre, grand communicateur devant l'Éternel, saura trouver les accents les plus irrésistibles pour développer son marché, conditionner sa clientèle, imposer les termes de sa fonction - prémices de la fonction publique. (On a beaucoup phantasmé sur l'attribution d'antériorité en matière de pratiques de racolage - le soi-disant plus-vieux-métier-du-monde -, oubliant, impénitents, que les bordels de Babylone n'ont fleuri qu'après l'érection des temples sur les ziggourats « désaffectées ».) Pour les plus entreprenants de ces « hauts placés », avec plus d'affairisme que de magie, par la vertu d'un pouvoir d'intercession propre à rallier le plus obtus des dieux, la religion donnera l'opportunité de s'établir roi
de droit divin.
Et, fruit de la recherche, dans cette opération de dévolution de pouvoirs célestes, la découverte d'astres circulant sur le Zodiaque sera une bénédiction que les intermédiaires à la profession de foi ne manqueront pas d'exploiter. Sur le marché du Ciel, sous l'égide spirituelle des dieux, l'inflation va s'installer. Le pli était pris. Les variations ne seront plus que des modulations en mode mineur. Pour se concilier les faveurs des dieux ou expier les fautes démasquées par les grondements et les abandons du Ciel, il faudra payer aux intercesseurs
Éleveurs et cultivateurs seront les premiers contribuables. Le commerce avec les dieux sera des plus juteux et toujours net de taxes. Sur les parvis, on prêtait d'autant plus facilement aux divinités « révélées » que le remboursement était l'affaire des fidèles entretenus dans le respect et la crainte des puissances célestes. La caste des intermédiaires mandatés par le Ciel était là pour le faire savoir et récolter les fruits de l'obédience, le denier du culte, la prime d'assurance tous risques. Au génie des pasteurs - taquin ou dissimulateur - il ne s'appelait plus El Shaddaï (7) -, le bougre avait pris un nouveau nom, donc de nouvelles attributions -, on prêtera les termes d'une ordonnance préventive : « Chacun versera à Yahvé la rançon de sa vie, afin qu'aucun fléau n'éclate sur eux
L'argent de cette rançon, tu l'affecteras au service de la Tente de Réunion. » (8) L'édit promulgué par les prêtres comportait des décrets d'application visés par le génie qui savait aussi se montrer bon vivant - comme tous les dieux - et soucieux de ses hommes de main - comme il se doit. « Quand l'un de vous présentera une offrande à Yahvé, vous pourrez faire cette offrande en bétail, gros ou petit
À titre de prélèvement sur vos sacrifices de communion, vous donnerez au prêtre la cuisse droite
Ceci est une loi perpétuelle commandée par Yahvé. » (9) Ce qui était bon pour Yahvé était bon aussi pour les autres masques. Des choix stratégiques de la mise en marché des dieux découlera la glu qui allait fixer bien des cultures. La découverte du Zodiaque par les embrasures des ziggourats et des « lois » gravées dans ses étoiles eut un impact comparable à celui qu'aura, deux ères plus tard, une autre découverte, plus modestement issue de croisements entre petits pois dans un monastère morave, sur
Sur quoi au juste ? Sur la taille des radis ou sur celle des cucurbitacées ? Va savoir à quoi on l'aura utilisée, comment on l'aura manipulée. Saura-t-il encore aimer celui qui voudra le dire dans l'aube de l'ère du Capricorne quand on aura oublié, ou pire - mais bien dans l'immémoriale tradition servolytique -, quand on aura effacé que l'homo de la fin de l'ère des Poissons avait décodé les codons
avant que la génétique ne devienne l'eugénique ? Pour sûr, ce futur portera la trace des attendus d'un choix tout aussi stratégique que celui qui a prévalu lors de la sacralisation des cieux : choix entre l'enrichissement collectif par le jeu inné de la multiplication des différences et la paupérisation de masse par l'attrait illusoire d'une standardisation « haut de gamme »
Prestige encore ! Mais on n'en était pas encore là, on n'était que dans les débuts de l'ère du Bélier. Sur la spirale de l'Évolution, une nouvelle marque de passage venait de s'inscrire. La sapience, avec ses rigueurs et ses égards, venait d'être supplantée par la croyance et les révélations. Pour prix de ses imprécations, le monde s'installait dans la précarité.
L'Empyrée à l'encan Devenue domaine des dieux, la voûte céleste fut alors perçue, ou plus exactement « vendue » comme grouillante de l'exubérance de protagonistes si énergétiques qu'il devenait judicieux, au moins prudent, de se ménager leurs influences, de s'attirer leurs bonnes grâces. Certains même, assurait-on, avaient une prédilection pour les séjours terrestres et un goût avoué à s'immiscer dans le destin des humains.
Et dans l'ombre du prêtre, gardien de la Constitution astrale, son acolyte, l'astrologue, stratège combinatoire. Prévisions pour prévisions, si celles des saisons commençaient à être passées de mode, celles du destin, aux rythmes moins certains, pouvaient assurer la notoriété de quelques devins acoquinés aux pratiques divines.
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