Ostinato… homo: credo - Jeux d'artifices
Jean-Michel Pionetti
éditions autodafé
ISBN 2-9805745-0-3

 

Cordial

Ce qui est cassé,
Ce n'est pas l'eau qui remplit le vase, non
C'est le vase qui est cassé
Et laisse l'eau se répandre
Emilio Prados

    Ce pourrait être une parenthèse… entre deux arcs de Cupidon.

    Plus qu'une passerelle entre le vivant et l'inanimé, comment ne pas être fasciné par cette molécule, ni organique ni minérale, charnière amphotère, véritable placenta qui assure depuis l'aube du vivant toutes les exigences de sa gestation. Le sage de Milet, Thalès, enseignait au ~VIe siècle que cette substance était le principe de toutes choses ; son disciple et complice, Anaximandre, bien que plus indéfini dans son appréhension du principe, reconnaîtra quand même à l'eau des vertus génésiques propres à catalyser les origines de la vie.
    Tranquilles ou violents, serpentant en méandres tortueux ou façonnant de larges et longues vallées, tous nos grands fleuves se coulent dans ces métamorphoses. Mais, qu'elle rigole, ruisselle, s'alanguisse ou cascade, c'est toujours la même eau qui mouille, de la source à l'estuaire, dans le delta de l'Amazone ou aux confins du Yang-Tseu-Kiang.
    L'eau, sur cette planète, c'est, avant tout, les océans (1) aux innombrables visages, mais c'est aussi ce nuage qui ne crèvera pas au-dessus du désert, c'est encore ce grain de blizzard glacé ou cette évanescente perle de rosée. Et depuis toujours, l'eau c'est l'ambiance des organismes dits vivants, donc, incidemment, des humains… car Cybèle, avant d'être Terre des hommes, fut - est, et sera encore longtemps - Eau de vie… en dépit du peu de civilité et de l'irrévérence, plus, du saccage des hordes de dénaturalisés hyperpolicés, plus éblouies que véritablement exaltées par l'illusion d'un progrès libérateur.
    Jamais pareille, et, fondamentalement, toujours la même. Deux molécules d'eau, l'une prélevée au sein d'une cataracte, l'autre au fond d'un lac tranquille, scrutées au plus profond de leur intimité, laisseront paraître le même galbe. Et pourtant, ici elle est un puissant agent d'érosion, là elle se révèle le nid d'infinies gestations. La force et la douceur. Faut-il ouvrer un tendre calcaire ou sculpter un dur granit ? Faut-il mijoter un bouillon de culture ? Que le climat soit tropical, tempéré ou polaire, l'eau est toujours à son affaire… Elle rabote, sculpte, burine, polit. Usant d'un temps non compté, l'eau fait, défait et refait le visage de la planète. Les grandes vallées, avant de devenir des havres d'abondance, ont été le siège d'un intense façonnage orchestré par la symphonie obstinée de l'eau. Rugueuse avec le temps, soyeuse dans l'instant. Une maille, un tissu, un réseau, l'eau est tout à la fois.
    Véritable fixation qui tient du phantasme, cette molécule me captive. Issue de la réunion de deux éléments parmi les plus simples (hydrogène et oxygène), cette association atomique, chargée de polarités antagonistes bien plus complémentaires qu'opposées, telle une fécondation, portait tous les prémices de la vie. Avec l'arrimage de la première molécule d'eau, l'empreinte harmonique d'une vibration passionnée trouvait un résonateur, la voie de la « recomposition » prenait un tour plus organique, un tour où la coordination pouvait prendre le pas sur la dispersion. Sans l'eau, la vie ne serait même pas une sèche espérance ; l'eau est au cœur de toutes les transactions du vivant. Privé de ce résonateur, le radiolaire s'endort sans vie, en cryptobiose, en attente de l'ondée reviviscente.
    Et l'eau, nous dit-on, on en retrouve la trace jusqu'aux confins de l'Univers… Comètes, océans volants… météores, éponges filantes. Rencontres explosives, accrétion génitrice.

    L'Amour, fille de l'Eau, doit à ses origines la source de sa palette de nuances. Charme, violence, tendresse comptent parmi ses composantes primaires. Le tour, toujours secret mais toujours classique, avec lequel elles sont mélangées, manipulées, appréciées, voilà qui justifie l'infini des déclinaisons d'une inclination qui ne peut être que diversité.
    Et, si, par la raison d'un trivial anthropocentrisme, on affectionne plus communément les amours à visage humain, qu'il soit quand même permis de constater, si ce n'est pour convaincre, au moins pour relativiser, que l'humain n'a pas le monopole de l'amour. Les détaillants des composants de la passion, psys de toutes venues, ont à foison du matériel pour faire leurs classes dans les histoires que racontent naturalistes et éthologues, des histoires qui sont, selon l'appellation abandonnée, des leçons de choses, des histoires qui, comme autant d'indices trop brillants pour être perçus, sont, toutes et chacune, empreintes de cette ineffable et primordiale résonance symphonique.


(1) Le volume des océans est estimé à 1400 millions de km3, autrement dit 1400 milliards-de-milliards de litres (1,4 x 1021 litres).


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