Des jeux et des couleurs
La sapience des mages - le sujet a déjà été évoqué -, après avoir délivré les arguments agraires escomptés, n'a plus pesé lourd devant l'impudence des négociants en intercessions. Privée de garde-fous, la croyance s'était trouvée embarquée dans une inflation vertigineuse, et, économie d'expédiences, certains - peu nombreux - allaient en recevoir les bénéfices que d'autres - le plus nombreux possible - payeraient de leurs prières assorties de leurs écots.
Et pourtant, dans l'ombre du rapport devenu écrasant entre les hommes et les dieux (un ou plusieurs ne changeant rien à l'affaire), s'est profilé, le temps d'une éclipse, un rapport plus léger, unitaire, composé de deux termes égaux, un rapport simplement raisonnable entre les hommes et
les hommes.
Une éclipse est un phénomène transitoire
susceptible de se reproduire.
Archélaïc
L'atome, ou du moins son concept, a été débusqué par Leucippe et Démocrite au ~Ve siècle dans la mouvance d'un esprit nouveau qui s'était fait jour dès le ~VIe siècle à Milet, prospère cité ionienne de la côte orientale de la mer Égée, où une bande d'intellectuels, avec à leur tête un dénommé Thalès (1), avait commencé à faire des siennes. Se plaçant en marge de la tradition, défiant l'ordre olympien chanté par Homère et Hésiode, ces penseurs en mal de physique entendaient expliquer la Nature avec ses propres éléments, au premier rang desquels Thalès avait fait figurer l'eau, substance primitive, archéenne, dont tout devait procéder. Impudence de novateurs incrédules, voilà que les dieux se trouvaient ravalés au rôle d'ornements pour jours de fête. Anaximandre, avec peu d'égards pour les prérogatives des maîtres de l'Olympe, pourtant inscrites dans les minutes de la Théogonie, va même oser prétendre que la vie aurait pris naissance dans la mer, et, comble de l'hérésie, avancer l'idée d'une filiation entre les espèces vivantes. L'air aussi aura son champion; Anaximène, reconnaissant ses aptitudes à la condensation et à la raréfaction, lui attribuera une place éminente en tant qu'élément biogénique.
Éclectiques, tout dans la Nature leur semble bon pour exercer la raison, cet outil qu'ils allaient privilégier pour la recherche de la connaissance. Ainsi, aux confins du Levant, distant de l'agitation aristocratique d'Athènes, là où l'Occident bute sur l'Orient, là où se croisent les traditions, se mêlent les langues, s'échangent les dieux, éclot la philosophie
sans en prendre le nom. L'appellation « philosophe », amoureux de la sagesse, émanera d'un fan d'harmonie céleste, autre érudit, qui, bien que natif de Samos, perle des îles ioniennes, ne mêlera pas sa voix à celle des hérétiques. Pythagore donc, premier philosophe en titre, lui, préférera inscrire sa marque dans un registre moins terre à terre, plus sphère à sphère.
L'Histoire se trouvait là à l'un de ces moments où le choix d'une option est déterminant pour la stratégie de la course. D'un côté, une forêt encore vierge; l'humus y est riche et les frondaisons abritent des trésors plus insoupçonnés qu'inconnus. Dans un tel espace, l'avance ne peut s'y faire qu'au prix d'un travail ardu
mais en liberté, au grand air de la découverte, dans les vents de la cogitation et de l'ingéniosité
et en toute laïcité, « intuitu personæ ». De l'autre, une steppe plus familière, à ciel ouvert; les sentes y sont déjà faites, plutôt ravinées même, par des cohortes de pèlerins transis de foi et en quête d'oracles
Transhumance grégaire.
L'Histoire n'a pu qu'enregistrer
que le temps n'était pas venu pour la raison de s'enraciner dans la glèbe laïque, mais que, par une aspiration similidémocratique, on préférait s'en remettre aux dieux des cieux.
Sélection naturellement humaine
Cette raison, dont se prévalaient les Ioniens, était encore ingénue. Elle n'avait pas eu à subir la rupture, véritable schizophrénie, scission de la pensée, qui sera, plus tard - un bon deux millénaires plus tard -, le prix de sa libération. Cette raison-là, alors, n'est ni handicapée par de prétendument coupables penchants irrationnels, ni obnubilée par un rationalisme débridé. Rationnel et irrationnel imbriqués cohabitent naturellement, la raison procède encore d'un arrangement symbiotique
une raison équilibrée, pas plus droitière que gauchère. Et l'intuition qui excite ces jouisseurs du naturel n'a pas encore été circonvenue par une raison univoque et son cortège d'acolytes que, plus tard, les mordus d'analyse corticale baptiseront sur-moi.
Mais la sélection a opéré : la raison ne sera pas naturelle, elle sera sophistique. Ça, l'Histoire n'a pu que le noter au brouillon ou dans les marges
ses scribes, dotés du bénéfice - largesses en nature que l'on ne saurait confondre avec des pots-de-vin ! -, étaient aux ordres, fonctionnaires de la fonction « divine ».
Qu'il s'agisse de soumettre une espèce animale ou végétale pour la conditionner et l'exploiter, l'instrument de la sélection est la manipulation. Apprécier, distinguer, choisir, discriminer, séparer, cloner, greffer, combiner
Dresser, domestiquer. S'appliquant à la docilisation - euphémisme pour parler de la mise au pas de la raison -, la manipulation va devoir s'adapter, franchir un pas de plus dans l'efficacité, devenir manigance. Ce mode de sélection, pour être naturel
est naturellement anthropique. Toujours vert, il n'a pas pris une ride.
uvre de rhéteurs, plus tard on aurait pu dire de jésuites, la manigance, opérant sur une raison encore vierge, va sélectionner une raison accordée aux exigences de la religion des sphères, la plus apte possible - c'est à cette caractéristique que l'on voit qu'il s'agit bien d'une sélection - à « distinguer » les liens de dépendance qui unissent le Ciel et la Terre. La raison qui va se répandre sera gorgée de sophismes.
Autant en emporte le temps
Partie de la marge, la curiosité des Milésiens va rencontrer la barre des Athéniens, et de la nouvelle vague, brisée dans les jardins d'Akadémos (2), seules quelques plages d'écume rappelleront l'exaltation d'un moment d'euphorie sans artifices, d'un moment de liberté.
De la géométrie des Anciens, dont la perfection faisait l'émerveillement et l'adoration de Platon au point de l'élever au rang de science divine, de pure théologie, les astronomes ont hérité de la cosmologie des sphères géocentriques. Une maquette de l'Univers avait été concoctée par l'académicien Eudoxe (3) avec vingt-sept sphères emboîtées, puis sophistiquée au Lycée par le Stagirite - aussi appelé par son tuteur le cerveau -, pour finalement englober cinquante-cinq boules pelliculaires. L'épure sera révisée et renformie cinq siècles plus tard par Ptolémée. Ce legs, plus imprégné d'esthétique mathématique que d'observation critique, pour avoir été institutionnalisé et paré par l'aréopage d'une aura dogmatique, a anesthésié pour plusieurs siècles toute véritable progression heuristique.
La philosophie naissante, celle qui était recherche de connaissances sans exclusive, avec sa raison plénière trop bien balancée, était tombée aux mains des mystiques défoncés par les mégabels de la musique des sphères. Inspirée par l'harmonie des mathématiques célestes, la partition originale est de Pythagore. Moyennant quelques arrangements en mode mineur, pendant des générations et des générations, la musique des sphères va tenir le haut du pavé, monopoliser le hit parade, accompagner tous les feux d'artifices
Et ce ne sont pas les élucubrations - au sens premier du terme - d'un astronome sans foi, éperdu de mesures astrales, qui allaient changer quelque chose à l'Histoire. Aristarque de Samos, au ~IIIe siècle, avait avancé les principes de l'héliocentrisme et de la rotation de la Terre. De telles théories, jugées plus impies que révolutionnaires, seront battues en brèche par l'école d'Athènes, causeront à son auteur quelques tracas
et seront mises au rebut. C'est le géocentrisme, trop évident, qui s'imposera. Archimède, jeune contemporain d'Aristarque, dénigrera allègrement les « fantaisies » cosmologiques du Samiote. L'historien Plutarque, au Ier siècle, glissera une référence à la théorie de l'astronome ionien. Cela sera bien insuffisant pour détourner Ptolémée de son approche conforme à la raison. L'astronome-mathématicien-géographe, par un puissant travail d'observation associé à des relevés fort précis - Ptolémée a aussi mis au point l'astrolabe « moderne » -, allait confirmer le bien-fondé de l'enseignement dispensé à l'Académie et au Lycée, mais, en plus, résoudre, trigonométrie à l'appui, l'énigme de la circulation erratique des vagabonds dans une élégante et convaincante description cinématique.
Pour voir réapparaître de nouvelles avancées capables de mettre un coin dans le dogme Aristo-Ptoléméen, il faudra attendre le XVIe siècle que Nicolas Copernic (4) exhume de l'oubli, en la peaufinant, la thèse d'Aristarque. Et encore, l'avancée ne fut-elle qu'une révolution avortée ! L'Église ayant eu vent de la nouveauté, elle la fit juger, sans autre forme de procès, préjudiciable à l'ordonnancement scolastique
Pour mieux paraître dans sa légitimité d'apparat, elle dira : divin.
Le système des sphères de Ptolémée, qui avait été adopté et consacré par les docteurs du droit canon, permettait d'abriter l'Enfer et le Paradis au-delà de la sphère des « fixes ». Toucher à ce système, c'était désorganiser l'agencement de l'Au-delà, c'était faire décamper les saints et les anges de leur deambulatorium, c'était éclater le Canon. Impensable ! Une telle perturbation du domaine réservé devait être réprimée avec la plus insigne sévérité. Les cerbères pontificaux allaient se charger de faire passer l'irrévérende avant qu'elle ne devienne par trop ostentatoire.
L'Enfer et le Paradis font toujours partie des structures théologales de l'Église. Où ont-ils été assignés puisqu'ils n'ont toujours pas été rangés avec les mythes ? Où sont passés la géhenne des réprouvés et le jardin d'aisances des âmes pies ? Que sont devenus les limbes d'antan ? Mais, peu importe ces détails logistiques, retenons que Copernic ayant commis en 1543 un ouvrage pernicieux - De revolutionibus orbium coelestium libri sex - un peu trop vite diffusé dans des sphères aux moeurs sacerdotales plutôt chatouilleuses, la belle ambiance consensuelle, maintenue des siècles durant entre clercs repus de manne céleste et praticiens de l'observation des cieux, n'allait pas tarder à se détériorer. Par la voix d'esprits sains, l'Église est confrontée à ses chimères. La Curie en transe freine de tous ses fers et fait donner du tison
Le philosophe et cosmologiste italien Giordano Bruno, dominicain panthéiste et ardent partisan des thèses de Copernic, est brûlé vif à Rome en 1600; Galilée, en 1633, au bénéfice d'une abjuration, échappe de justesse au bûcher
Mais le ver est dans le fruit et le centre de l'Univers va se retrouver tiré à hu et à dia.
Dans son manuscrit original, Copernic renouait avec l'esprit milésien en rendant justice à Aristarque de la paternité des « nouvelles théories »
mais, dans un de ces retournements de conscience que connaissent parfois les chercheurs en mal de virginité, il supprimera cette référence de la version publiée. Bien mal lui en prit, car, si son traité marquera bien l'aube d'un changement d'ère astronomique, diktat papal interdisant, la révision des révolutions rejugée impie ne sortira de l'ombre qu'au XVIIe siècle, au prix d'une hardiesse venue d'Outre-Manche
La petite histoire, peut-être parce qu'une fois encore il était question de s'affranchir du giron divin et de bazarder des interdits qui faisaient du Ciel un mystère impénétrable, a retenu la propice entremise
d'une pomme.
Prudence est mère de sûreté. Descartes (5), qui avait senti le coup venir sans toutefois vraiment oser le porter, l'avait bien compris. La Suprême Inquisition refroidissait encore bien des ardeurs ; aussi, après l'affaire Galilée, Descartes cherche plutôt à se démarquer de la scolastique - là sera son audace - et en vient à formuler, sans froisser trop de robes, une exigence toujours en vigueur : n'admettre dans les sciences que la raison. Plus déterminé, avec la gravité du coup de la pomme, Newton, lui, enfonce le clou et entérine de facto une nouvelle répartition des rôles : le spirituel et le surnaturel à l'Église, le matériel et le rationnel à la Science.
Ainsi fut-il.
Le développement du spirituel abandonné à l'Église, c'était le plus sûr moyen de le voir s'enliser dans la mièvrerie. En ayant payé le prix fort - l'abandon de l'irrationnel -, la Science libérée a pu évoluer
L'irrationnel est resté occulte.
Le réordonnancement des astres - l'au-delà - fut le premier fleuron de l'émancipation; l'ordonnancement de la création - l'ici-bas - devra attendre un temps plus déluré. Pour dégourdir les assertions phylogéniques d'Anaximandre, il faudra un preux : le chevalier de Lamarck (6).
Les nouvelles découvertes et les nouveaux concepts conduisent à de nouveaux modèles d'explication. Cette manifestation a été criante à l'aube de ce siècle, au lendemain de la découverte de la radioactivité naturelle (Henri Becquerel, 1896), puis avec la formulation de la théorie des quanta (Max Planck, 1900). Les clefs de la physique moderne sont là. L'atome n'est pas seulement dépisté, il est traqué, capturé, dépecé. La physique atomique et nucléaire s'installe aux commandes de la Science. Sans concession pour les anciens modèles, l'atome livre les secrets de sa structure corpusculaire et ondulatoire (Niels Bohr, 1927).
Un peu plus tôt, dans un autre registre, les biologistes aussi avaient eu l'occasion de faire une belle percée, moins péremptoire toutefois. Ils avaient dégoté leur Ptolémée. Le naturaliste anglais Charles Darwin sera à la biologie ce que le mathématicien grec fut à l'astronomie (le compliment n'est pas mince)
la polémique en plus. La nouvelle théorie (De l'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, 1859) fondée sur une vision d'enchaînements aux apparences congrues entendait - entend toujours - faire prendre cet élégant sophisme pour une argumentation solide. Mais si la théorie avait fait sensation, ce n'est pas tant par la judicieuse articulation d'images exotiques ramenées des Galápagos que par l'arrivée inopinée, dans une généalogie jusque-là édénique, d'ancêtres au profil simiesque. Plus d'un érudit bien pensant qui se gaussa de l'effronterie. En ralliant les railleurs et les prieurs, les tenants du créationnisme - dogme d'inspiration divine - se donnaient quelque espoir de voir passer la toquade évolutionniste.
Si sur l'évolution chacun dans sa chapelle pouvait encore y aller de son gentil couplet, les nouveaux modèles atomiques, eux, n'ont pas longtemps laissé les sceptiques rigoler. Le 6 août 1945, la Science, par la voie de la physique politicienne, sortait de son apparente neutralité.
À quelque temps de là, l'atome « soumis », le vivant se trouva prié de faire connaître d'où il tirait ses aptitudes. Mise à la question moléculaire, la double hélice (Rosalind Franklin, Francis Crick, James Watson et Maurice Wilkins, 1953) finit par avouer qu'elle détenait le patrimoine génétique. L'information va propulser la biologie moléculaire vers des sommets. L'élan est sans retenue, et la nouvelle gloire crie haut et fort sa foi dans la doctrine réductionniste.
De soutane en sarrau
Du coup, avec la nouvelle donne selon Newton, la Prima Donna s'est trouvée perdre quelque peu de sa superbe. Sa Curie servante si peu oblative a eu beau s'évertuer, sa toute-puissance n'a pas résisté au charme montant de cette autre actrice qui, rapidement, a pris le devant de la scène. Plus habile, parée d'une aura qu'elle s'est confectionnée à sa mesure, son succès va grandissant. C'est l'engouement. On lui voue un culte qui tient du fanatisme. Elle a toutes les audaces, joue dans tous les registres, s'attribue tous les oscars. Prenant déjà le pouvoir sur les corps, elle va tenter de s'emparer des âmes. La Science est la nouvelle idole.
Comme elle a été à bonne école, elle a vite trouvé le pli. Elle a ses rites
Elle a ses prêtres aussi, des loustics qui agitent à la vue des fidèles ébahis les signes et les prodiges de ses succès, comme autant de miracles prodigués par la Diva. Les Tables de sa Loi s'appuient sur le dogme du Progrès. Socle en béton, le leurre est là. Qui pourra contester le bien-fondé d'une telle assise ?
« Hors de la Science, point de salut. » Par les vertus de la grâce scientifiante, les conversions vont bon train. Les néophytes se pressent en masse aux portes du temple, chacun venant quémander une part de cette manne de bienfaits. Le nouveau Sanhédrin, investi des pleins pouvoirs, ne reculera devant rien pour asseoir sa suprématie
sa dictature. Investi d'habiles tacticiens, il distribue amulettes et fétiches, se livrant en même temps à « une véritable prise de pouvoir idéologique, disposant du droit de vie et de mort sur les autres hommes
[28] ».
Nul ne peut gravir les marches qui mènent à l'autel s'il ne s'est paré des ornements sacerdotaux. Et tout est bon pour figurer parmi les élus qui ont la jouissance du saint des saints. « Les sciences humaines, si peu scientifiques en elles-mêmes, emboîtent elles aussi le pas aux sciences exactes et entendent bien (frôlant le ridicule scientiste) s'ériger en sciences objectives pour être reconnues et revendiquer leur part de pouvoir. [28] »
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Le darwinisme, relevé de l'idioplasme porteur des tendances héréditaires, devient néo-darwinisme; revu à la lumière des gènes et de leur ségrégation selon le jeu du hasard, la sélection naturelle des théories opérant
voilà le nouveau-néo-darwinisme très académique.
Il convient quand même de rendre à l'embarqué du Beagle ce qui lui revient : les observations du jeune Darwin furent d'une grande pertinence et son Voyage d'un naturaliste autour du monde (1839) demeure un modèle du genre. Toutefois, la dialectique susceptible d'emporter la conviction manquait à sa thèse. Elle manque toujours. Avec Copernic, l'astronomie est sortie de l'orthodoxie géocentrique, la biologie renâcle encore à mettre aux archives l'orthodoxie de ses continuums.
Serait-il suffisant pour retracer l'évolution des engins de locomotion de s'en tenir à l'observation des modifications des formes en suivant une séquence des différentes adaptations, une séquence du genre « char - charriot - guimbarde - coche et diligence - locomotive - automobile
» ? Avec le regard de l'orthodoxie selon Darwin-et-successeurs, cette vision est cohérente, car elle rend compte d'une logique et d'une progression confirmée par les faits. Cette interprétation de l'évolution, faite au premier degré, en occulte sa réalité historique : l'évolution est seconde par rapport au temps de l'histoire. Dans les transformations successives des véhicules susmentionnés, si, « à l'évidence », évolution il y a, elle n'est pas indépendante des artefacts produits par l'accroissement du réseau de connaissances. Ce complément en forme de périphrase se ramasse en deux mots : les découvertes
celles qui, profitant d'occurrences idoines, engendrent les révolutions, aiguillonnent l'Histoire. Entre la traction humaine, l'attelage d'animaux domestiqués, la machine à vapeur, le moteur à combustion interne, la propulsion nucléaire, il y a des étapes conceptuelles qui ne peuvent être réduites à l'aimable sophistication des rouages ou à l'aérodynamisme d'un élégant carénage. Bien plus qu'un simple plus, ces étapes sont le fruit de compositions qui allient trouvaille et création.
Pour un historien, curieux de la dynamique qui pousse à aller toujours plus vite, et rebelle à l'idée de voir dans cette progression la marque des seuls coups de chance, il conviendrait, au moins, qu'il se donne la peine de soulever un capot et de renifler les vapeurs d'essence. Dans ces fragrances, il découvrirait que l'alchimie en question a partie liée avec des arrangements inscrits dans le mariage de la physique et de la chimie
un mariage qui est loin d'avoir mis à nu tous les secrets des partenaires.
Jeune observateur de la création, l'anthropien-chercheur qui se pique d'en être déjà l'historien - pour ne pas encore avoir appris ou découvert qu'il y avait un capot - s'en tient toujours à la logique des enchaînements de formes et de fonctions. Mais, donnons-lui ce crédit, il ausculte
à tâtons certes, mais à force, il pourrait bien finir par mettre le doigt sur la clenche
si toutefois l'anthropien-théologue, assuré d'avoir tout compris par la grâce de la révélation, ne le convainc pas de se contenter de s'esbaudir sans rien toucher et de chanter des cantiques.
La biologie du génome est encore dans son âge ptolémaïque. C'est dans cet âge que s'écrivent les canons chargés de précaires certitudes. À quand la discordance et la fulgurance coperniciennes, la hardiesse et la fécondité d'interrogations galiléennes ? |