Récurrences
La Terre a ses cycles
on commence à peine à les découvrir. Pas les circadiens, pas les saisonniers, ni les annuels. Ceux-là, parce qu'ils s'inscrivent comme des fréquences harmoniques dans le cycle d'une vie d'homme, à force de répétitions, ont fini par se faire des entendeurs. Non, j'évoque ici des cycles beaucoup plus longs, si longs que l'on ne peut que supputer sur leur longueur. Le nez dans la pinaille, que l'année varie d'une infime fraction de seconde, on en fait toute une histoire, alors que la cyclothymie invétérée de la planète laisse plutôt froid. Au cours de ses cycles millionnaires, les inclinaisons de la géode balancent, et sur cette gymnique chaloupée se décline la saltation de ses humeurs dans une alternance syncopée de glaciations et de réchauffements. Cette physiologie orbitale, parce qu'elle se joue de notre temps, passe pour secrète et énigmatique. En fait, il n'y a pas si longtemps, on en déniait carrément la simple existence ; l'évoquer était une impertinence. Aujourd'hui, quelques traces, ici d'un ébranlement, là d'un ondoiement, mettent en émoi certains fouineurs encore trop pressés par le temps pour en réconcilier les arguments. Au moins s'interroge-t-on.
Moins concerné par d'aussi lents branle-bas, l'éphémère, bien que partie prenante, n'a pas le temps de se soucier du cycle des ans, l'espace du jour lui suffit à satisfaire les exigences de son état. Avec l'année, l'humain, après avoir saisi l'enchaînement des saisons, a pris son parti de faire avec. Nombre d'autres espèces - que l'on dit bêtes - ont traité d'instinct la même affaire. Quant aux plantes - peut-être parce qu'elles sont aux avant-postes de la communication -, elles ont tout pigé dès la première ordonnance.
Comme un héros au bord de l'eau L'information fécondante se disperse à tous les vents cosmiques. Qu'un ovule dans sa période réceptrice résonne à la caresse de l'onde séminale, et, pour peu que les partenaires continuent à dispenser leur trop-plein d'énergie, qui de l'intérieur, qui de l'extérieur, l'évolution, qui est avant tout gestation, par le jeu des associations codées, a toutes les chances de mener à terme une organisation chargée de sens
Espérances profanes d'une complice résonance
Car c'est par le canal ondulatoire que sont transmis les pulses qui, résonnant au cœur de « cibles », récepteurs syntonisés, transforment, adaptent, gomment, corrigent, actualisent, enrichissent « le programme ». Ces mises à jour périodiques, pour être perçues avec une acuité tout juste balbutiante, font l'objet de théories aveugles et de sourdes controverses
qui ne sont que compositions plus ou moins harmonieuses ébauchées sur l'air de la marche du temps. Et, tout comme l'omniprésence du temps qui demeure impénétrable, l'essence de l'évolution, à l'abri de son code inviolé, garde une ambiguïté énigmatique
énigmatique mais non dénuée de sens, car, somme toute, chargée des courants en vogue.
Dans un autre contexte, en apparence plus éthéré, la question de savoir si les ondes émises par une étoile pouvaient transporter de l'information avait déjà pointé son impertinence, et dans le registre des goûts et des couleurs, au rayon des capteurs, un coup d'œil aux récepteurs cochléen et rétinien avait laissé entendre qu'il pouvait y avoir plus que de la connivence entre émetteur et récepteur.
Émetteur et récepteur sont de la même essence, ils composent avec les mêmes arrangements ondulatoires, ils n'ont de sens que l'un par l'autre (un peu comme contribuable et percepteur). L'appariement est plus que la norme
On n'a jamais conçu un émetteur sans avoir, dans le même temps, assemblé les éléments du récepteur complémentaire (1).
Aussi, sans attendre un jugement aux attendus scientifiés, je dépose parmi les pièces à conviction le récepteur-processeur chlorophyllien, cette verte interface qui, excitée par quelques émissions lumineuses, opère entre l'inorganique et l'organique (voir Alchimie de lumière dans Le temps des nomades)
C'est toute une information qui est propagée par cette vague lumineuse (pour mémoire, il s'agit d'une onde électromagnétique). Non seulement elle conduit le signal qui amorce la réaction de combinaison de l'eau et de l'acide carbonique, mais auparavant - ici se glisse un dérapage à la casuistique quasi eschatologique -, il y a de cela bien longtemps, alors que les premières associations moléculaires se constituaient en récepteurs primitifs, mais ô combien fonctionnels, c'est elle, cette onde de lumière, qui a transmis les informations et « piloté » le montage du récepteur-processeur chlorophyllien avec lequel elle opère - résonne - depuis, par constitution, donc par nature, en harmonie.
Pièce à conviction pour confondre qui ? L'idée même d'une telle « télécommande » n'a pas encore droit de cité dans l'éclectisme restreint des gnoses académiques, car à gamberger dans les registres ondulatoires que ses gadgets diffusent, l'apprenti en communication, bricoleur émérite, pour avoir domestiqué les contours de quelques ridules, a fini par croire que, des ondes, il avait extirpé la quintessence
quand il n'en connaît que l'enveloppe de surface.
On peut s'évertuer à faire des ronds dans l'eau et par l'extrapolation de cette science juvénile expliquer l'océan
En fait, le réduire à sa houle et à ses vagues
Il est vrai qu'il y a dans cette perception matière à fascination qui justifie bien des envoûtements, mais cet engouement, même poussé à l'extase, manque de la profondeur qui permettrait de dévoiler les trésors de la vie de la Thalassa, de révéler l'essence de son perpetuum mobile, ou encore de dire l'indicible source des vents.
À une heure où la Science sacrifie si facilement au stochastique, les vagues d'ondes, les vents stellaires ne peuvent être perçus que comme aléatoires, fruits d'un hasard incompréhensible
hasard qui plane comme un dieu aux confins de la connaissance, aujourd'hui moins loin que demain. Aussi, pour ce qui est de se risquer au décryptage des modulations stricto sensu sidérantes de cette communication cosmique, les plus aventureux se limitent à repérer quelques destinataires sensibles aux arguments de la missive ondulatoire - ici un pigment, vert ou pourpre, blanc ou noir, là une rétine
pigmentée également. Quant à l'auteur du script génésiaque, pour ne pas encore savoir ou, plus extravagant, pour ne pas vouloir savoir ouvrir l'enveloppe, certains, afin de mieux professer le mystère, ont choisi d'y voir le doigt de Dieu, d'autres, pour se faire les chantres de vérités stochastiques, celui du Hasard. Il en est aussi qui, plus conséquents avec leurs croyances, trouvent dans ces deux démiurges plus que des affinités et
les marient, qui sur l'autel de la nécessité, qui dans les délices des complaisantes probabilités.
Parenthèse iconoclaste pour un aléa scientifié
Assurément Max Planck a marqué un tournant qui peut être qualifié de majeur en égrenant les quanta à l'aube du XXe siècle. Mais dans la fructification de cette brillante intuition passée et repassée au crible de tous les pairs ès physique s'est niché un bâtard d'importance. Depuis, la Science, pour le coup se voulant bonne mère, ne cesse de s'épater de l'habileté et de l'astuce de son rejeton déluré, ce déterminisme statistique tout paré de démocratie mathématique. Objets de culte, les grands nombres dictent leur loi sinaïque. La béatitude des scribes tient de la subjugaison, plus un disciple de Pythagore qui ne soit un sigisbée. Aussi, au risque de voir choir le pinacle sans préavis, la prochaine avancée, pour avoir l'heur de paraître évolutionnaire et encore un brin scientifique, ne pourra se négocier qu'une fois le Hasard descendu de son piédestal. Il serait hasardeux de pronostiquer l'heure de cet affranchissement. Quoique ! Voilà que le Hasard et ses lois bizarres viennent d'encaisser une secousse. Le socle que les pontes avaient cru scellé pour l'éternité se fissure sous les coups d'un nouveau prétendant qui foule aux pieds ce qui tenait lieu de fondement inviolable, le dogme de l'Entropie coulé dans le principe, deuxième du nom, de la thermodynamique, jusque-là tenu pour universel dans les chaires de physique prétendument incorruptibles. Bref, l'Entropie, chargée de ses désordres aléatoires, subit les assauts du Chaos et de l'Imprévisible, garant des lois concoctées par quelques anthropiens habités par l'esprit des nombres. L'affaire est suffisamment d'importance pour voir deux chapelles qui se traitaient maigrement, maintenant se faire plus que de l'œil. Entre physique théorique et mathématique dynamique, le courant passe ; entre physiciens et mathématiciens, pour sceller les convergences, on s'échange des programmes, parfois des virus. Hier, le hasard ou son divin alter ego réglaient avec la même inconsistance les conséquences des copulations ; l'œstrus et la progestérone, à force de cycles et d'investigations, ont eu raison de ces mentors d'opérette
Presque.
On n'en a pas fini de lancer des cailloux dans la mare.
La parenthèse reste ouverte
le temps que les dieux mettent pied à terre
ou - ce qui pourrait se révéler équivalent - le temps que s'installent les arguments d'un développement vers un palier de communication plus performant, un réseau à la maille plus serrée, aux nœuds plus proches et plus étoilés. Homo credens, alors, aura toutes chances de se retrouver sur la touche, car il ne pourra plus longtemps masquer ses insuffisances sensuelles dans la fumée de l'encens de ses bordels divins ou dans les volutes de ses fractales algorithmées
Et ces chances-là, aucune idole ne pourra les exhausser, aucun programme ne pourra les évaluer
seul le bon sens, le sens récepteur, pourra résonner au bénéfice d'une amplification
Et, qui sait ? pour un peu, elle pourrait être humaniste
Vision d'une espérance onirique (ou encore le fruit d'une oraison jaculatoire à la sauce bigot ?) : homo credens troquant sa défroque de croyances pour un habit neuf coupé dans un brocard de sapience. |