Transit sans détour
La pléthore d'ouvrages qui traitent d'astrologie abonde en descriptions de toutes sortes sur les tribulations et les vicissitudes imputables à une pléiade d'aspects, solaires, lunaires et planétaires, ajustés en sextile, en carré, en trigone ou en quinconce, mais en général même les plus accrocheurs restent assez discrets sur l'essence des influences qu'ils associent à ces configurations, et cette discrétion n'a rien à voir avec de la modestie
ce n'est pas le genre. Aujourd'hui certains astrologues, dans un rattachement aussi propitiatoire que conjoncturel, parlent de champs magnétiques. Air du temps ? On verra un peu plus loin que cette récupération n'est pas ignorante des dernières trouvailles cosmiques.
Lorsque l'on regarde d'un peu plus près ce qu'un astrologue met en place pour monter ce qu'il appelle un thème astral de naissance (le radix), ce n'est rien de plus que le report sur un cercle des angles donnés dans les éphémérides pour les positions respectives du Soleil, de la Lune et des huit planètes au moment de la naissance du requérant. Sur ce graphique, la carte du ciel, viennent ensuite se placer « les positions de circonstances », c'est-à-dire les angles visés pour ces mêmes astres à un moment choisi. Cette superposition est essentielle pour la lecture des transits qui se fait sur cette double carte du ciel. Mais qu'est-ce qu'un transit ? se demandent ceux qui de l'astrologie n'en connaissent que l'horoscope galvaudé des magazines dépourvu de toute sensibilité individuelle. Transit signifie passage, transiter évoque l'action de traverser. C'est bien de ce dont il s'agit. L'objet du transit sera un astre du système solaire dont la projection, de passage dans un secteur particulier de la carte du ciel de naissance, essaime ses modulations sur le thème natal dépositaire des « influx originaux ». Convergentes ou divergentes, en phase ou décalées, de l'état de syntonie entre les différentes influences, de leurs interférences résulterait un état de résonance qui serait traduit par l'amplification ou l'inhibition de potentiels propres à chacun. Ça, c'est pour le principe. Principe qui relève du postulat confit. Quant au jargon de cette « explication » sur le transit, pour ceux qui n'ont jamais eu l'occasion de se pencher sur leur carte du ciel, il ne sera qu'une logomachie peu à même de les éclairer. Toutefois, sans devenir tangible, elle pourrait, au moins, perdre de son caractère abscons lorsque, un peu plus avant, avec un exemple « visuel », on percevra mieux le sens, si essentiel, de résonance.
Donc, techniquement, cette partie du travail de l'astrologue, le tracé des cartes (voir dans l'annexe Cartes en kit, les inserts 1 et 2), même s'il requiert de l'attention dans la lecture des éphémérides et dans le report graphique des valeurs fournies, ne demande pas de dons particuliers. Pointer et trianguler est une chose, conjecturer desseins, stratégies et résolutions au travers de la mire augurale tracée dans un cercle zodiacal, en est une autre. Ésotérique, pour le compte. Jusque-là, pour reprendre l'image des champs de force dessinés par les aimants (voir Spectres visibles), l'astrologue aurait comme mis en place des aimants sur un cercle - pas sur un disque (1), mais sur « l'horizon » sur lequel circulent les projections des astres « influents » -, une série sous la feuille de papier pour obtenir le thème de naissance et une série au-dessus de la feuille s'il recherche les transits. On notera que ces champs d'influences ne sont pas perçus « directement » comme tels par l'astrologue, car, selon les interrogations du consultant, ils peuvent être passés, présents ou futurs. Le praticien devra en établir la configuration avant de pouvoir risquer - certains astrologues sont plus catégoriques - une interprétation. Il suppute donc sur des images reconstituées pour les champs passés ou préconstituées pour ceux du futur. Opérer la visualisation de champs magnétiques dans notre petite expérience était assez facile. Tous les aimants étant en place, on saupoudrait d'un peu de limaille de fer, et le spectre apparaissait. Suivant le nombre d'aimants, la figure montrait des formes spectrales plus ou moins complexes, caractéristiques des interactions entre les différents champs magnétiques impliqués. Jeter de la poudre n'est pas le truc de l'astrologue, car les « aimants » qu'il a placés sont des abstractions ponctuelles qui figurent les différents composants du système solaire (à l'exclusion de la Terre qui est au centre du dispositif). C'est sur cette composition trigonométrique dont les lignes « interplanétaires », comme autant de spectres filiformes, tissent la toile de la fortune, qu'il va devoir repérer différentes configurations spécifiques, des associations caractéristiques entre les aspects du thème de naissance et ceux du thème « transitoire » correspondant à la période qui intéresse le consultant
sans poudre et sans détour.
Carte du ciel sur tapis vert
Ce « savoir-faire », qui est le niveau de base de la pratique astrologique, s'acquiert par l'étude et l'apprentissage comme pour n'importe quelle autre discipline qui associe enseignement et pratique. Acquérir cette technique ne demande pas des compétences extraordinaires, si ce n'est un peu de mémoire et un poil de rudiments en géométrie élémentaire, une géométrie analogue à celle que pratiquent, avec une expertise tout euclidienne, les joueurs de billard, maîtres instinctifs en angles supplémentaires. Les aspects, ou « configurations relationnelles », des astres qui présentent un intérêt en astrologie ont été depuis longtemps répertoriés. Ptolémée, au IIe siècle, érudit polyscience, ayant percé le secret pelliculaire des sept orbitants et établi la configuration des cieux en couches concentriques, poussa la gnose jusque dans l'exégèse des desseins circulatoires. Le fruit de ses élucubrations est consigné dans un grimoire typologique fort circonstancié, la Tétrabible, premier codex des synergies destinogènes et providentielles, ouvrage qui ne connaîtra jamais le désaveu de l'Index. La Tétrabible a été la référence enseignée dans les doctes chaires d'astrologie de Paris, de Bologne, de Padoue, mais aussi, et à l'instigation de Léon X, à Plaisance peu après que la cité ait été annexée aux États pontificaux par Jules II « le Terrible » en 1512. La liste canonique, depuis, a été mise à jour au fur et à mesure que les lunettes gagnaient en dioptries et fouillaient le ciel plus avant. Dans son essence, la bible ptoléméenne s'est révélée d'un usage congru, car les révisions opérées n'ont jamais suscité de schismes majeurs parmi les servants à la glose divinatoire (2), et le traitement optique, finalement bien toléré, aura contribué à corriger certaines attributions caractérielles. Pensez donc, Saturne, connu comme taciturne, fut révélé comme le joyau des vagabonds. Point n'est besoin d'être maître ès trigonométrie pour s'adonner à l'exercice de la carte du ciel. Pour l'essentiel, ces fameux aspects se fondent sur des figures simples (droite, triangle équilatéral, carré
), figures dont les angles sont des divisions entières du cercle aux 360 degrés introduit par Hipparque. Pour prolonger l'analogie avec le billard, je dirai que les configurations astrologiques sont, somme toute, plus facilement dénombrables que la multitude de celles que l'on peut rencontrer sur le tapis vert et, de surcroît, celles qui se jouent sur la bande zodiacale sont prévisibles
Vertu des orbites, récurrence des configurations planétaires
Et des destinées ? Cette perception des influences solaro-planétaires, plus polygonale et réticulaire que sensitive, en fait, ne rend compte que de la première partie de la lecture d'un thème. Nombre d'astrologues, conséquents avec le niveau de leur pratique, s'en tiennent à cette diagnose « géométrique » agrémentée d'une interprétation sommaire des interactions perçues, interprétation tirée du canon astrologique en vigueur et largement gouvernée par des sympathies ou des antipathies angulaires (par exemple, l'angle de 60° du triangle équilatéral est chargé d'un potentiel bien plus bénéfique que l'angle droit du carré). Le plus souvent, le bilan de la triangulation entre quelques astres-clés sera très suffisant pour « transmettre » au consultant les éléments d'information qu'il souhaitait voir précisés. En revanche, percevoir, sentir même, la résultante de ces influences sur le point central du dispositif qui figure l'intéressé et y intégrer la personnalité de celui-ci, voilà un processus qui requiert d'autres aptitudes, une sensibilité particulière, une aisance émérite. Du culot ou un don ?
Don au naturel
Mais qu'est-ce qu'un don ? On pourrait le définir comme une qualité naturelle peu commune. Naturelle est le terme essentiel, et peu commune ne signifie pas qui n'a été donnée qu'à quelques-uns ou qui est l'apanage d'une élite, mais peu développée car peu éduquée ou inusitée car peu entraînée. Un don n'est en rien surnaturel, pas plus que son objet. J'ai toujours eu de la difficulté à comprendre ce que l'on pouvait bien mettre derrière surnaturel en dehors des contes et des mythes
et encore ! Les sources de ces histoires féeriques ou légendaires sont aussi naturelles que le souffle sulfureux d'un geyser jaillissant des profondeurs. Le surnaturel, lui, ne jaillit de nulle part. Feu follet, il suinte d'un marécage où stagne la sueur des peurs en décomposition. Sève des croyances, sang des religions. Don n'est pas magie. Le capitaine Némo est un personnage munificent qui manipule avec aisance et raffinement des concepts scientifiques qui dépassent les connaissances de son temps ; son Nautilus n'est pas mû par des énergies surnaturelles. L'explorateur des abysses personnifie le don. Avec le temps, l'extraordinaire mis en scène par Jules Verne est devenu ordinaire, voire obsolète. Je suis un inconditionnel de la science-fiction qui met en scène l'extraordinaire. Le surnaturel m'ennuie. L'astrologie, par la voix de ses praticiens, revendique l'aptitude à percevoir des influences qui, d'ordinaire, ne mettent pas en éveil l'un des cinq sens classiques de la gent commune. Cette singularité, plus cocasse que singulière, la rend, pour le moins, pas ordinaire. En ce sens, je pourrais trouver l'astrologie extraordinaire. Mais l'extraordinaire n'en est pas pour autant moins naturel. Percevoir les influences des astres. Inutile d'aller chercher bien loin, et restons, grâce à l'une de celles-ci, simplement sur Terre. La gravité, influence on ne peut plus quotidienne, ne nous pèse pas trop
guère plus que le poids des ans. Il faut avoir été soustrait à ses effets - en plongée ou en apesanteur - pour en reprendre un peu la mesure, en retrouver le sens, ce sens qui a le bon goût de ne pas tout laisser aller sens dessus dessous. Et puis, toujours sur cette même Terre, il y a bien d'autres influx ordinaires très présents que l'humain n'utilise pas par manque de sens, comme, précisément, celui du champ magnétique. Sens perdus, sens supplantés ou sens à développer ? Pour trouver le nord, on doit s'en référer aux astres, au Soleil ou aux étoiles, ou faire confiance à la souplesse d'une aiguille aimantée. C'est alors la vue qui, par une intégration (qui n'est autre qu'une « intellectualisation » ordinaire d'observations et de corrélations), supplée à la déficience de l'instinct d'orientation ou du sens magnétique. La récurrence de la course du Soleil, avec ses points de passage « obligés », a fini par imposer les jalons cardinaux ; l'étoile Polaire, « comprise » comme le pivot de la voûte céleste, est devenue l'amer nocturne. Suivre sa route « aux étoiles » n'a rien d'extraordinaire, cela demande simplement d'être doué pour
ou d'avoir l'âme bédouine. Le don de l'astrologue « doué », son sens singulier, s'exprime dans ses aptitudes à l'association et à l'intégration de composantes relationnelles et affectives du consultant. Son domaine devient, alors, moins celui des astres que celui, particulier, mais parfaitement naturel, de la psyché, et la carte du ciel joue alors le rôle d'un catalyseur de l'expression intérieure, pour certains au moins aussi efficace qu'un divan. Quant à ça, on ne s'étonnera pas si la nature du contact consultant-astrologue a une influence sur la qualité de la perception intuitive. Influence primordiale, déterminante, voire essentielle. L'« influence » d'un aspect astral passe par cet échange, le transit se nourrit de ce transfert, car l'intuition en question, l'intuition du « lecteur de cartes », se révèle bien vite plus empreinte d'empathie que de prémonition.
Qualifications professionnelles
Faute d'avoir tous reçu la grâce congrue, peu d'astrologues peuvent officier à ce niveau qui requiert un don. Dans sa version la plus rudimentaire, à base « géométrique », l'astrologie horaire, la plus couramment pratiquée, s'applique à concocter les horoscopes. Dans les mains d'un astrologue, elle aura un regard sur le vécu immédiat, les événements proches. Dans ce cas, l'analyse du thème se limite à une étude de transits en rapport avec la situation actuelle du consultant qui ne recherche le plus souvent qu'une explication, une interprétation ou un conseil quant à une difficulté à traverser. L'astrologie judiciaire requiert un peu plus de pratique relationnelle, car, là, l'astrologue dira dégager un « profil psychologique » du consultant en mettant en vedette certains points chauds du déroulement de son existence. S'appuie-t-il autant qu'il veut le laisser croire sur la carte du ciel de naissance pour extrapoler ses révélations ? Certains le disent
sans pour autant nier l'empathie sous-jacente. Ces deux manières d'astrologie laissent dans l'ombre les réactions psychiques fondamentales, celles qui traduisent les vraies motivations des actes, ou encore la quête d'une forme de spiritualité. Cette recherche des désirs, conscients ou inconscients, se veut l'élément moteur de l'astrologie d'évolution. L'astrologue s'appuie alors sur une toile de fond de la personnalité, « fixée » par la naissance, mais qui n'est en rien figée, car « dans le thème, ce ne sont pas les événements qui sont inscrits, mais les leçons à apprendre. Et chacun est libre de les accepter ou de les refuser, d'aller dans le sens de son thème pour avancer plus rapidement sur la voie d'évolution ou de se replier sur lui-même, jugeant ces leçons inacceptables ou insupportables [15] ». À ce niveau de perception, on comprend plus facilement pourquoi astrologie et psychanalyse relèvent d'une même classification professionnelle
Le fisc ne s'y est pas trompé.
À quel sens se vouer ?
Comment savoir si celui que vous consultez a le don ? Il y aurait bien une solution simple. Si votre intuition est suffisamment entraînée, vous devriez pouvoir faire appel à ses capacités. En présence d'un détenteur du don, elle ne manquera pas de vous faire percevoir, disons « par affinité », ses facultés, et d'établir alors, ou non, la confiance indispensable à l'induction du transfert. Si vous ne faites pas souvent appel à votre sixième sens, alors, il vous faudra faire la part entre votre crédulité et votre perspicacité.
Je visite un planétarium, et, une fois encore, au cœur de la géode céleste plus vraie que nature, je me laisse envoûter par le fabuleux show cosmique de la traque des nébuleuses et des galaxies sur fond d'arabesques programmées de faisceaux lasers. Et ce jour-là, comme en surimpression de la fantasmagorie holographique, par une porte entrebâillée, j'aperçois sous la coupole, dans le saint des saints, une astronome en tunique blanche, l'œil rivé à ce qui doit être l'oculaire de la grande lunette astronomique. Je ne vois rien de ce qu'elle voit, mais - et là se glisse l'affinité - je la vois voir. Aussi, sans trop de difficultés, parce que voir ne m'est pas inconnu, je peux me faire à l'idée qu'elle voit « réellement », qu'elle reçoit l'image d'un astre lointain, même si je ne vois pas comme elle dans les étoiles. Ce coup d'œil furtif vient de provoquer l'envie d'aller capter « en direct » un coin de l'arche des cieux. Néophyte, sans compétence pour interpréter, l'image que je percevrai aura bien des chances de me laisser perplexe, mais peu importe, c'est une fascination que je voudrais ressentir. Le perplexe s'accommode fort bien du magique. Perplexité ou perspicacité ?
C'est la question qui aurait dû se poser lorsque j'ai rencontré l'astrologue qui m'a « initié ». Mais ce soir-là, la question ne s'est pas posée, ce qui était certainement la meilleure façon d'y répondre. Je ne savais pas encore qu'elle était branchée sur le champ des planètes et qu'elle s'adonnait aux sirénades astrales. Je ne saurais dire si c'est un rayon qui a filtré de son aura, toujours est-il que l'aménité du contact fut assurément harmonique et propice à l'inclination confiante.
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