Millénium, ou la marque du triple zéro
« Nouvel Âge ». Un phénomène qui n'a rien ni de neuf, ni de surprenant, le « renouveau » s'inscrit dans l'air du temps. La fin de ce « second » millénaire, dans la perspective de l'an 2000 drapé d'une aura mythique, auréolé d'un cortège de prévisions hétéroclites, pousse, plus que de coutume, les chantres de l'eschatologie apocalyptique et autres prophètes d'Har-Magedôn à donner de la voix. Dans le même temps, dans le souffle lénifiant des nouvelles phratries superchristiques, tous les chevaliers de la Sainte Sagesse revendiquent la marque du sceau de l'authenticité du renouveau
un antique sceau d'airain.
Dans le genre « la fin est proche », l'approche de l'an 1000 n'avait pas manqué de réveiller chez les ouailles quelques peurs purificatrices et salvatrices
Les hérauts célestes avaient claironné au son des trompettes de Patmos l'avènement d'un règne de mille ans, et mille ans allaient être révolus. L'Auvergnat Gerbert d'Aurillac, grand praticien des sciences hermétiques, astronome et astrologue épris de sphères, céleste et terrestre il commit un Traité sur l'astrolabe , inventeur à ses heures il aurait taquiné l'abaque et la vapeur , devait être très au fait de la conjonction qui planait sur cette date fatidique, car ce curieux se trouvait être également moine et théologien
Différentes facettes nullement antinomiques en cette époque où le merveilleux réglait l'essentiel des activités cognitives. Du Ciel et des astres, Gerbert n'ignorait rien, et c'est ce qu'ont laissé entendre de mauvaises langues chargées d'envie quelque peu sorcier, il aurait eu le pouvoir de les influencer. Allons donc, ce ne sont que des histoires de mégères !
En 999, Gerbert devenait Sylvestre II, le premier pape français, le pape de l'an 1000.
L'an 2000 marque est-ce une coïncidence ? une double fin et, par voie de conséquence, une double transition. On arrive au terme d'un millénaire en même temps que se pointe l'achèvement d'une ère astrale, l'ère placée sous le signe des Poissons.
L'engouement que suscite cette perspective ne tient quand même pas à la simple modification scripturale d'un label administratif qui portera la marque du triple zéro. Il doit y avoir plus. Plus, ou moins ? Car, sans chercher trop longtemps, on trouve que l'an 2000 qui s'approche est un jalon qui concerne la civilisation occidentale instruite dans les doctrines christianisantes, soit une enveloppe d'environ neuf-cent-millions d'individus (quoiqu'en terme de contribuables à jour de cotisations, le dénombrement des âmes pourrait se révéler un peu moins copieux). Des affiliés au genre homo, la planète en comptera bientôt plus de six-milliards six-mille-millions ! Lorsque viendra le temps de la pénultième Saint-Sylvestre du XXe siècle « après J.C. », plus de mille-millions de Chinois seront dans les préparatifs de la célébration de l'an 4698, une nouvelle année du Dragon, l'Islam affichera l'an 1421 compté depuis la fuite du prophète de La Mecque pour Yathrib (Médine), le calendrier bouddhiste indiquera 2543, l'ère de Kaliyuga en sera à l'an 5102, les enfants d'Israël seront en l'an 5760 après la Création
Les apprentis démocrates devront concéder que l'avènement de l'an 2000 tiendra plus d'une fête de famille un tantinet nombriliste que d'une célébration universelle
La simple exigence de relativité démographique n'a jamais figuré au canon des vertus démocrates !
Par contre et non en revanche , l'entrée zodiacale dans l'ère du Verseau, elle, n'a rien de discriminatoire. C'est une donnée cosmologique planétairement reconnue. L'agencement d'un cadran de type zodiacal se retrouve au cœur d'à peu près toutes les civilisations. Qu'il soit divisé en douze, ou en vingt comme ce fut le cas chez les Aztèques, c'est toujours dans le voisinage des étoiles de la constellation du Verseau Aquarius que s'inscrira la marque du premier rayon de soleil de printemps dans l'hémisphère nord, ou d'automne dans l'hémisphère sud.
Le changement d'ère astrale sera pour tous. L'ère des Poissons s'achève, l'ère du Verseau va prendre la relève. L'emblème aux deux poissons fera place à celui de l'Eau particulièrement riche de symboles de Vie.
Mais, j'y pense
le poisson
En ce temps-là
L'inspecteur Bourrel se serait écrié : « Bon Dieu, mais c'est bien sûr. » Ça y est, vous y êtes vous aussi ? Mais si, vous avez déjà dû en entendre parler, on vous l'a peut-être même appris au catéchisme. Ikhthus, mot grec qui signifie « poisson » (ichtyologie, la science des poissons), eh bien Ikhthus est l'acronyme que les premiers chrétiens se sont dégoté pour se donner un signe de reconnaissance : Iésous KHristos THeou Uios Sôter Jésus Christ fils de Dieu, sauveur.
Longtemps, je m'étais interrogé sur la raison de ce nom composé Jésus-Christ (que les chrétiens prononcent comme un grincement de dents « Jésus-Cri ») dont seul le premier terme correspondait réellement à un nom, Christ étant une épithète rajoutée, une épithète posthume, traduction grecque de l'hébreu Messiah Messie, l'oint de Dieu.
L'ère marquée du signe des Poissons venait de commencer et son avènement avait coïncidé avec celui d'Auguste, empereur du monde romain qui englobait alors tout le pourtour de la Méditerranée. Le présage était là : cette ère allait être celle de Rome. Aussi, pour ceux qui voyaient dans la cité du plus rusé des fils de la louve le repaire de l'oppresseur, il fallait trouver une parade. Pourquoi ne pas détourner le symbole astral ? !
Fort avisés et opportunistes en diable, les premiers « maîtres à penser » chrétiens, en associant le nom Jésus et l'épithète grecque Khristos (avec Messiah, cela n'aurait rien donné), ont forgé la base de l'emblème recherché pour se confondre avec l'ère « Poissons ». En ce temps-là, on savait déjà jouer sur les mots et on pratiquait avec habileté la manipulation du symbole, sans rien ignorer de la manipulation tout court.
Le logo de l'ère nouvelle annexé, il ne restait qu'à conduire la mystification à son terme et à la consacrer. L'oracle avait laissé entendre que cette ère devait être celle de Rome
qu'à cela ne tienne, on sera complaisant avec l'oracle. C'est Rome qui va devenir le siège de Pierre, le centre de l'idéologie chrétienne, idéologie qui n'allait pas tarder à afficher ses prétentions hégémoniques.
Le calembour prêté à Jésus sur le nom du pêcheur « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » a tout de l'additif fait sur mesure pour asseoir le magistère de Pierre et successeurs. Surtout successeurs, car le bien-nommé Pierre n'aurait, paraît-il, jamais mis ses sandales à Rome. Ça, ce sont des historiens qui ne bénéficient pas de l'inspiration divine qui l'ont dit. Allons donc, celui qui a écrit que le pêcheur y avait établi le siège de son autorité, a bien dû l'y voir. On n'invente pas une histoire comme ça. À qui cela pourrait-il bien servir ? Regardez à qui profite l'embrouille
Non, là vous n'avez pas de preuves, et à supposer qu'il y en ait eues, il y a belle lurette qu'on les aura soustraites à la fouine des sans-foi. Alors, plutôt que de donner dans la spéculation diffamatoire, je préfère penser que la lumière des catacombes pouvait laisser à désirer. Bon, mais qui donc était ce Pierre qui s'appelait Simon ? Le fruit d'un transfert sémantique introduit par un rédacteur évangélique ? Un rédacteur sans aucun doute inspiré
mais par qui ? et à quelle époque ? Seul, l'évangile « attribué » à Matthieu (16,16-20) fait état de cette réflexion « Tu es Petrus
» « fondamentale » pour l'avenir de la communauté naissante. Les relations de cet échange, entre Jésus et Simon, par les autres évangélistes (Marc 8, 29-30 et Luc 9, 20-21, Jean n'y fait même pas allusion), sont si foncièrement différentes que l'on peut se demander s'il a jamais été dans les intentions du Maître de fonder une église, et si l'établissement de celle-ci n'est pas une opportunité, une récupération de seconde main.
Voilà des ergoteries qui, aujourd'hui, paraissent bien futiles et dénuées de sens chrétien. Et pourtant, il fut un temps où elles ont été prises très au sérieux pour autant que le sujet puisse l'être , et à un point tel que c'est sur cette question de la primauté de Pierre que s'est faite la rupture qui allait conduire à une première fragmentation de l'Église.
Bulles schismiques
Cela a commencé avec les tribulations de Photios dans un chassé-croisé d'excommunications. En l'an de grâce 847, le moine Ignace est nommé patriarche de Constantinople par le pape Nicolas Ier. Par son intransigeance, le nouveau promu déplaît à l'empereur byzantin Michel III, dit l'Ivrogne. Excédé par les remontrances du sobre et chaste moine, en 858, le souverain le destitue et le remplace par le théologien Photios. Cela n'est pas pour plaire à Nicolas très à cheval sur les prérogatives pontificales. Le Saint-Père se fâche, menace et finit par excommunier et déposer Photios en 863. Le théologien, pas content du tout, se maintient et fait connaître à Rome sa façon de penser en des termes peu amènes. L'échange s'envenime et Photios décide en 867 de réunir un concile à Constantinople qui ne fera rien de moins que d'excommunier le pape Nicolas. Temps de crise, la situation devient schismatique. Le pontife romain sera peut-être plus ébranlé qu'il ne veut le laisser paraître, car il ne verra pas la fin de cette année 867. Mais cette année-là ne sera pas non plus celle de Photios. Premier coup dur, son protecteur, Michel III, va le lâcher pour aller rejoindre ses ancêtres, aidé en cela par son favori Basile qui s'est fait un devoir de l'assassiner pour mieux lui succéder. Basile Ier, dit le Macédonien, souhaitant faire avaliser le bénéfice de son méfait sans en payer le prix, a plus besoin de se concilier les bonnes grâces de Rome que d'obtenir la bénédiction de Photios. Aussi Basile marque-t-il son avènement par le rétablissement d'Ignace dans son siège de patriarche. Un nouveau concile, œcuménique celui-là, est convoqué à Constantinople en 869. Photios y sera condamné, l'entente entre Rome et Constantinople rétablie, et le schisme de l'Église d'Orient mis entre parenthèses. Photios saura se faire oublier le temps que le temps fasse son office. En 877, à quatre-vingts ans, Ignace est rappelé à Dieu. Basile peut alors, sans risque, réinstaller Photios dans son fauteuil patriarcal. Réhabilité par Rome du bout des lèvres, sa fougue atténuée, Photios évitera les vagues avec les successeurs de Pierre.
Ces trois protagonistes sont finalement « devenus » des saints, mais dans des camps différents. Nicolas et Ignace, suivant les canons de l'Église de Rome, et Photios, dans le giron de l'Église orthodoxe. Et oui, deux Églises, car l'histoire a eu une suite. Les successeurs de Photios, l'hypothèque hasardeuse de l'an 1000 levée, ont rouvert la parenthèse mal fermée il est vrai du schisme qui avait opposé Rome et Constantinople.
Le remake a eu pour interprètes, côté Constantinople, le patriarche Michel Cérulaire, et côté Rome, le pape Léon IX, le premier pape itinérant. Le patriarche, d'un tempérament quelque peu ambitieux et vindicatif, en 1053, reprend les hostilités avec Rome. Les mœurs et coutumes des rites latins lui paraissent inconvenantes. Comment peut-on oser célébrer l'Eucharistie avec du pain non levé ? De telles incongruités lui sont insupportables, aussi Michel fait-il fermer les églises affiliées à Rome. Le pape Léon avait alors d'autres soucis que les hosties de Constantinople. Parti guerroyer dans le sud, en Campanie, pour endiguer les prétentions du Normand Robert Guiscard, il s'était retrouvé prisonnier de celui-ci dans les murs de Bénévent. Bon prince, Guiscard, dit l'Avisé, tout en retenant captif le pontife, lui laissa la liberté de vaquer à ses problèmes domestiques et d'assouvir sa vindicte à l'égard du patriarche facétieux. En janvier 1054, Léon envoie son légat, Humbert, à Constantinople. En mars, les Normands laissent le pape, malade, regagner Rome. Léon n'aura pas la douleur de connaître l'épilogue désastreux de la mission de son envoyé en Grèce, car il meurt le 19 avril. À Constantinople, les pourparlers s'enlisent dans des discussions byzantines, et Humbert ne parvient à trouver un accord que dans l'échange des aménités. Alors que le siège pontifical est toujours vacant, le 16 juillet 1054 lors d'une assemblée plénière de la congrégation, il dépose sur l'autel de la basilique dédiée à la « Sagesse divine » (en grec, Hagia Sophia) une bulle qui excommunie le patriarche Michel et tous ses supporters. Le patriarche ne s'en laissera pas ainsi compter par un légat. Le 24 juillet, il réplique par un anathème prononcé par un synode de sympathisants contre la clique papale. Les parenthèses qui dissimulaient la hargne de l'épisode Nicolas-Photios venaient de se consumer dans les fulminations apostoliques. Le schisme était consommé.
Au cours de ce même mois de juillet 1054, les astronomes et astrologues chinois étaient plongés dans la perplexité. Depuis le matin du 4 juillet, le ciel, dans la région de la constellation du Taureau, était le siège d'un phénomène violent et inconnu. Une étoile semblait avoir explosé. Certains astrologues ont voulu y voir l'expression d'un grand désordre qui devait être en train de se produire quelque part sur la planète (1).
Nouveau visage de l'orthodoxie
Ces histoires ne font pas précisément partie de celles que l'on apprend au catéchisme. Dommage ! car, en plus de leur intérêt historique, elles ont un petit côté didactique propre à exciter des curiosités juvéniles. Mais ce genre de stimulation n'est pas le point fort de la pédagogie cléricale, et l'histoire historique de l'Église, et encore moins les histoires des Églises, ne sauraient être converties en outil éducatif
Aussi il me faudra la sanction d'un magistral contresens dans ma dissertation de baccalauréat pour que je saisisse enfin le sens du mot orthodoxe. Depuis le catéchisme, que j'avais dû trop bien repasser, j'associais ce mot à l'hérésie, à la mauvaise foi. C'était l'image que tout jeune bon catholique devait avoir de ces mauvais chrétiens « grecs et russes » qui se prosternaient devant des icônes. Ce qui n'était pas dit, c'est que si l'Église d'Orient a fini par prendre le qualificatif d'orthodoxe, c'était pour bien marquer son adhésion aux sources originelles de la foi et son refus des déviations introduites comme autant de croyances parasites.
L'Église d'Orient avait refusé tout un lot d'innovations qui venaient instituer en dogme un merveilleux qui avait perdu tout sens spirituel. Figuraient entre autres articles hétéroclites : la création du purgatoire, l'immaculée conception et le fameux article du Filioque (Et du fils) qui avait été l'un des chevaux de bataille de Photios. Avec le Filioque, pour couper court aux velléités de discrédit sur la consubstantialité des trois personnes de la Trinité, Rome avait décrété que le Saint-Esprit procédait à la fois du Père et du Fils.
Mais il y avait aussi qu'à Constantinople, on ne voulait rien savoir de la suprématie du pape et de son infaillibilité. Mal à l'aise dans ses mouvements sous la botte de Rome, voyant ses prérogatives limitées, l'Église byzantine ne voulait reconnaître qu'un seul chef, le Christ, qui exprimait son « autorité » par la voix des évêques réunis en synode.
Bref, en fait, orthodoxe signifiait fidèle aux origines. Avec ce sens, il devenait plus explicite que ce n'était pas Rome qui avait pu affubler de cette épithète une Église qu'elle considérait comme dissidente. Mais, conséquence de cette « révélation » étymologique
une nouvelle interrogation : que pouvait donc alors signifier catholique ? Je confesse que je me suis enquis du sens de cet adjectif dans un dictionnaire laïc, aussi pourra-t-il manquer d'une certaine orthodoxie. Catholique, c'était la réponse du berger à la bergère. Le savant label (en grec katholikos) ne signifiait rien de moins qu'universel.
Le ton était donné, les ambitions réaffirmées. Le monde de l'an 1000 est encore bien modeste
Qui sait alors s'il ne viendra pas à s'étendre ? Aussi Rome, dans un élan conquérant, prend les devants, sa prééminence ne devra pas connaître de frontières. L'Église, autoproclamée catholique, entend couvrir de son hégémonie toutes les découvertes à venir
sur Terre, et à travers l'Univers.
Queue de poisson
Ainsi donc, ère chrétienne et ère Poissons étaient synonymes sans qu'il y ait là une quelconque coïncidence fortuite. Les deux, dans le monde occidental, se sont confondues en une seule et même ère qui, dans l'esprit des chrétiens des premiers siècles, devait être la dernière, car le retour triomphal du « Christ » qui marquera la fin du monde était annoncé comme proche
l'affaire d'une génération, garantissait l'apostolique assurance. Aussi, l'angoisse mortifère savamment entretenue dans un discours imprécatoire, les prévisions apocalyptiques trouvaient à bon compte une large audience à l'allégeance servile. Mais quand on réalise sans trop de surprise que le marié tarde à se manifester et que l'huile vient à manquer, il ne reste plus qu'à faire les yeux doux pour obtenir du crédit
pourtant le charme malicieux de la vierge folle ne suffira pas pour amadouer la compagne avisée. Ce n'est pas une vaticination, c'est une parole d'Évangile.
La fin de cette ère est proche, c'est inscrit dans les étoiles
Il ne s'agit pas d'une prévision d'astrologue l'astrologue ne lit rien dans les étoiles ni d'une prophétie inspirée, mais d'une donnée tout bonnement cosmologique à laquelle les « pères fondateurs » avaient délibérément souscrit, dans l'enthousiasme fanatique d'une annexion propitiatoire de l'ère nouvelle
et en faisant du placide emblème oblong, leur ichtyogramme salvateur.
Aberration et prévarication
Crépuscule de l'ère accaparée, le terme assigné est bien là, il ne peut être différé, sauf à entraver la marche du Ciel
Devant Gabaôn, obéissant à l'injonction d'un Josué, le Soleil arrêta sa course pour lui permettre de se livrer à l'extermination de ses ennemis. Mais où trouver aujourd'hui un Josué ? Josué était un homme de guerre, pas un homme de Dieu
La belle affaire ! Entre Dieu et Guerre, la complicité est ancestrale. Guerres et dieux ont été si intimement mêlés qu'ils disposent d'une commune assise et d'une commune audience. L'embrouille, explique la voix de l'auteur inspiré, est une nécessité d'essence divine, l'antidote qui doit empêcher l'homme d'atteindre des sommets sublimes. « Voici que tous font un seul peuple
Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons ! Descendons ! Et là, confondons leur langage pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres. » (2)
Cette intervention de Yahvé, l'un des dieux en chef, se passait à Babel, au pays de Shinéar, au cœur du delta fertile du Tigre et de l'Euphrate, et visait la gent issue des rescapés du Déluge. Ainsi se trouvent justifiés, comme venant du Très-Haut, les basses pulsions ségrégationnistes et tous leurs appendices délétères.
Grand Dieu ! Alors, sous cette férule grosse de toute la parano qui empoisonne la moindre velléité un tantinet humaniste, l'altruisme, le partage, la fraternité et la xénophilie sont des pratiques hérétiques ! Ah bien sûr, si ce dieu, craint des monarques, des pontifes et des grenouilles, venait, dans le souffle d'un instinct plus originel, à être expectoré, ces hérésies seraient, sinon vertus, au moins coutumes. Mais l'instinct aura beau s'époumoner, ce sera en vain aussi longtemps qu'il demeurera oppressé par un intellect qui souffre d'asthme divin
divin ou chronique, pour cette malignité-là, c'est du pareil au même.
Dans les prémices du Verseau
Par bouffées, l'air du temps exhale un parfum nouveau. Un parfum qui ne plaît pas à tout le monde, et sa promotion se heurte à bien des réticences. Les huiles en place n'aiment pas ses effluves auxquels manque un bon vieux remugle de sectarisme bien chargé d'un capiteux dogmatisme. Mais cette ère qui s'en vient a un très bel atout : elle est dotée d'un puissant symbole, un authentique signe de vie, un signe « premier », primitif, sans lequel les Poissons et les autres zooïdes zodiacaux ne seraient rien. L'ère nouvelle, l'ère du Verseau, sera placée sous le signe de l'Eau.
C'est un symbole qui fait déjà bien des envieux, et il y a fort à parier qu'il va faire l'objet, comme celui des Poissons en son temps, de toutes sortes de tentatives de récupération ou de détournement. Deux-mille ans après, une ère plus loin, on réécrit fébrilement un scénario aux arguments captieux pour un remake aussi malin que canonique, on peaufine la mise en scène d'un pathétique aggiornamento
Dans la série à succès « O.P.A. », on l'intitulera : « De l'eau pour un poisson. »
un air d'ouverture
Signe des temps, les « pêcheurs » ont tellement profité que les prises, là où elles étaient abondantes, assurent maintenant à peine la survie. Il leur faut rechercher de nouvelles formes d'ouvertures, diversifier les zones de pêche
au risque de menacer les équilibres naturels. Mais qu'importe l'équilibre, lors qu'il n'est plus que temps de renouveler le bail pour une place que d'autres convoitent déjà ! Beaucoup ont reniflé l'aubaine. Sur l'estrade, parade toute une flopée de ces nouveaux théosophes et autres nécrophages avenants qui entretiennent, sans avoir trop à s'évertuer, une confusion anesthésiante entre Ère nouvelle et Nouvel Âge.
Aussi, de cette aspiration à un renouveau encore appelée contestation , l'Église, défendant son morceau et assurant son marché, voudrait faire une opération de restauration. La façade, depuis qu'elle s'est donné un statut institutionnel, a toujours été sa priorité, alors qu'à l'intérieur les schèmes demeurent intangibles. L'ouverture se révélera vite n'être qu'un leurre, et le changement d'ère, s'il est inéluctable, sera contrôlé pour se faire sans courant d'air, dans un confinement paternaliste qui préserve des contaminations, des coups de soleil et des tempêtes d'équinoxe.
Ouverture, le thème est à la mode. Pêcheurs, descendants de pêcheurs et autres travestis savent bien de quoi il s'agit. Ouverture, le mot est plaisant, mais les connaisseurs n'ignorent pas que c'est un élément indispensable dans l'art de la trappe. Une large ouverture suscite l'engouement
comme l'entrée d'une nasse. Une fois l'ouverture passée, il n'y a d'autre issue que la captivité
comme au fond d'une nasse
et, prosélytisme oblige, cette nasse-là a plutôt des allures de chalut
et du fond d'un chalut n'est jamais remontée la liberté. Seulement du butin. Le patron pêcheur n'a jamais eu d'autre intention que de retirer un profit de sa pêche.
Le poisson christique en passe de se noyer, le symbole à bout de souffle, le bail échu
le bateau prend l'eau. Que faire ? Faudra-t-il jeter par-dessus bord les vieux dogmes, ou couler avec ? Il en est qui ont flairé l'imminence du naufrage. Des éminences, bien sûr. Dans les saintes officines, on planche sacrément sur les plans du radeau.
Et si besoin est, à défaut de planche de salut, pourquoi ne pas se mouiller ? Plonger carrément la tête sous l'eau, le temps de se rafistoler une virginité, et refaire miraculeusement surface dans une eau baptismale
au cœur même du nouveau symbole. Son annexion, alors, ne sera plus que de la routine. L'opération, protéiformité aux ressorts depuis longtemps rodés, ne sera en fait qu'une opération recto Verseau. La trame de la doctrine, imperméable, demeurant inchangée, seule paraîtra l'illusion de la page tournée qui ne laissera voir qu'une page vierge.
Il est des signes qui ne trompent pas. La campagne est lancée, il faut ratisser large. Les tentatives de récupération vont bon train et se multiplient tous azimuts, infiltrant tous les milieux, y compris, et en priorité, ceux qui ont pris de l'ascendant
Dans la Nature. Au diable les apocryphes : avec l'eau, les petits oiseaux. On s'affiche écolo. Disséminés, par-ci, par-là, mais pas n'importe où, quelques ermites new-look
consacrés et savants pasteurs des rivières, prédicateurs des bois, défenseurs de petits chemins.
Par la Science. Là, il convenait de résoudre un dilemme : comment pactiser avec l'ennemi séculaire identifié au paganisme et garder la face ? La solution la plus ringarde a fait l'affaire : au bluff. Quelque taupe palmée se répand dans une exégèse similiscientifique de quelques pans choisis de Genèse, et, avec le concours de quelques mercenaires médiatiques, le Big Bang et sa singularité se retrouvent au rang de vérités révélées.
Dans les Arts
plus malléables. Bien orchestré, l'Évangile en superproduction, ça fait un effet bœuf.
Et puis, pour tous ceux que les démonstrations ou les péplums n'excitent pas, on a prévu le volet contrition et humilité. Exhumation de quelques vieilles histoires vénielles, histoire de faire amende honorable.
Hors les murs. 1992, l'année Colomb, les stratèges ne pouvaient manquer l'occasion. L'hégémonie de Rome aurait-elle fait un peu fort il y a cinq-cents ans lors des conquêtes évangéliques outre-Atlantique ? On n'en est plus à une bêtification près : on fera le voyage en grande pompe et repentance d'apparat (Saint-Domingue, 12 octobre 1992) pour gratifier d'un pardon sanctifiant un aréopage trié sur le volet de l'obédience.
Sans remords. Côté Inquisition, on se limitera à un cas symbolique et facile à traiter, car il n'y avait pas eu mort d'homme. En 1633, à Rome, l'Inquisition avait condamné Galilée à abjurer l'abomination de la thèse héliocentrique et, magnanime le prévenu avait été un bon copain d'Urbain , l'avait juste assigné à résidence pour le restant de ses jours. La petite histoire laisse entendre que le vieux chercheur aurait tout de même anathématisé
dans sa barbe. 1992, nécessité fait loi ; il n'est plus temps de tergiverser sur les égarements doctrinaux du centre de l'Univers, il faut au plus vite paraître à la page. À Rome, le 31 octobre 1992, concédant la rotation de la Terre sur elle-même et, pour faire bonne mesure, autour du Soleil, le Saint-Siège, par la voix de son titulaire, réhabilite l'astronome Pisan, le précurseur de la physique gentile, autrement dit de la physique « moderne ». Quant aux neufs-millions qui n'avaient pas bénéficié des mêmes largesses des tourmenteurs, les stratèges ont estimé que rouvrir ce dossier crématoire pourrait être du plus mauvais effet
Pour la plupart, il s'agissait de femmes. Les minutes disent des sorcières
Pas de quoi fouetter un chat.
un air conquérant
Si l'Eau est un candidat sérieux au titre d'emblème de l'ère nouvelle, un autre se préparait déjà depuis un certain temps, pour être fin prêt le moment venu
Ses experts en communicatique ne s'y sont pas trompés. La transition vers l'ère nouvelle ne saurait lui être plus propice pour se mettre sur les rangs. La course à l'investiture est ouverte.
Au début de l'ère qui va échoir, la figuration du poisson avait été habilement tramée pour rassembler les adeptes d'une doctrine qui refusait la diversité et la tolérance qui étaient la norme dans les cultes syncrétiques des olympes « païennes ».
Plus récemment, c'est un autre symbole fédérateur qui s'est forgé dans l'élan de la conquête d'un nouveau monde et qui a subjugué un continent. Il est constitué de deux lettres : US. Derrière le sigle qui désigne une nation, l'acronyme crie son aspiration avouée au leadership d'un nouvel ordre mondial. (Faut-il rappeler que us signifie nous ?)
Un nouvel ordre ? Pas si nouveau que ça. Tu pourrais relativiser un peu. La devise de ces conquérants est des plus éculée. Elle servait déjà alors que le « peuple élu », sous la conduite de Josué, razziait les populations établies en Canaan. Elle sera aussi celle des Croisés et des Conquistadores, régimenteurs de droit divin.
« In God we trust. » La devise est inscrite sur chaque dollar et gravée sur chaque cent.
Drôles d'endroits pour inscrire une profession de foi. Ce dieu aurait-il quelque chose à voir avec les puissances d'argent ?
L'argent n'est-il pas le nerf de la guerre ? Et pour ce qui est de la guerre, c'est toi-même qui prétendait tout à l'heure que Dieu et Guerre s'étaient bien trouvés de quelques associations assez juteuses. Il est assez clair que le goût ancestral pour cette martiale entreprise n'a cessé de faire des émules sans qu'il soit besoin de distribuer des franchises.
Arrivé, porté par toutes sortes d'obédiences et Dieu sait s'il en a fleuries , Dieu s'est inscrit dans le patrimoine. Nul yankee, croyant ou sans-dieu, ne conteste que ce dieu invoqué sur le billet vert soit bien le même que celui qui bougonne et menace dans les Écritures
le « Créateur », Dieu de Noé, de Moïse, des juifs, des chrétiens et des musulmans.
Ça, tout le monde le sait, mais, paradoxe de croyants, personne n'est vraiment intéressé à le faire valoir.
Récurrence des causes et des effets de l'Histoire. Sous l'étendard d'un tel dieu, la paix ne peut être que belliqueuse. En fait, si les variantes de Dieu nuances de chapelle ou modulations ethniques séparent, le dollar s'affiche plus consensuel. La Mecque de l'œcuménisme, c'est Wall Street, pas le Vatican.
En tout cas, dans le vent de l'Histoire, « US First » siffle comme un claquement de fouet.
We are the United States of America, the leader of the West that has become the leader of the world
We must be the world leader in education
And so we move on, together, a rising nation,
the hope of the world
God bless you. (3)
Président George Bush,
Discours sur l'État de l'Union, 28 janvier 1992. (4)
Le grand aigle venu de l'Olympe enlève le jeune Ganymède et le met à son service. C'est un fragment de l'histoire écrite sur la page de la constellation du Verseau. Le sens de la parabole a été oublié
Escamoté peut-être
Comment les Sumériens disaient-ils porteur d'eau ? |