La bonne voix
pour aller au bout de son rêve
L'intervention aussi fulgurante que déterminante de Jeanne d'Arc dans l'Histoire de France est une réalité que personne ne conteste. Jeanne d'Arc appartient à l'Histoire. Mais avant d'être une page d'Histoire, Jeanne fut une source d'histoires dont certains se seraient bien passés. Un cas délicat. Pour l'Église, l'histoire d'une bavure ; pour les historiens, pour qui la tangibilité des faits est censée primer sur les états d'âmes, l'histoire d'un avatar. Avec le temps, gens d'Église et gens d'Histoire, par consensus tacite - une fois n'est pas coutume, voudront témoigner quelques exégètes -, ont pudiquement entériné l'épisode des voix, épisode qui, aussi singulier soit-il, est à l'origine d'une épopée
courte, conséquente. Tout ce beau monde a préféré s'accorder pour attribuer à « ses voix » un caractère surnaturel
caractère qui, en 1430, avait quand même valu à Jeanne d'être jugée comme hérétique et sorcière par un tribunal ecclésiastique - tribunal ne relevant pas, il est vrai, de la Sainte Inquisition. Dans un premier temps, Jeanne écoutant quelques voix amies audibles par tous, choisit d'abjurer
Elle échappait ainsi à l'exécuteur. Incommodée par un remords sanctifiant, elle ira se rétracter. Pour la relapse, le bûcher ne faisait plus un pli.
Jeanne d'Arc a été réhabilitée en 1456 par le droit séculier, avec l'aval plus diplomatique qu'apostolique du cacochyme vieillard Calixte III, alias Alonso Borgia - que l'on ne confondra pas avec Rodrigo, son neveu -, et, en 1920, canonisée par le très affable Benoît XV. Après cinq siècles, l'Église faisait acte de contrition
mais le repentir a ses limites. Une erreur faite par un tribunal subalterne - l'évêque Cauchon n'avait pas l'étoffe d'un Ghislieri, grand inquisiteur, pape et saint, vénéré sous le nom de Pie V - s'efface facilement dans les fastes d'une canonisation qui permet, de surcroît, de redorer le blason à peu de frais. Neuf-millions d'erreurs, soit autant d'âmes que l'Inquisition a envoyées découvrir le chemin du Ciel via ses brasiers, c'est en dehors de ces limites. L'imprescriptible n'a qu'un temps - un temps court - au-delà duquel l'indescriptible n'est plus qu'une page d'Histoire, voire une page d'histoires à controverses.
Pourquoi avoir glissé ici l'histoire de Jeanne d'Arc ? Aurait-elle, en plus, été astrologue ? Pas à ce que l'on sache, mais elle l'a peut-être regretté, car, si elle a été attentive, elle aura pu observer dans les cours royale ou épiscopales que les astrologues y avaient leurs entrées et s'y trouvaient à l'abri de néfastes vicissitudes. Le roi Charles VII, pour lequel elle s'était entremise, très féru d'astrologie, aurait sûrement manifesté plus de considération et de reconnaissance à son égard si elle en avait été.
Mais elle n'en était pas, et ses dons étaient d'un autre acabit. L'histoire de Jeanne, pour paraître atypique en raison de cet amalgame religieusement entretenu entre dons et pouvoirs surnaturels, recèle néanmoins quelques traits d'une éthique peu commune, l'éthique insensée à vouloir être selon ses sens.
Jeanne a entendu des voix. Mais qui parlaient ? Elle dira l'archange saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite. Saint et saintes que Jeanne avait l'habitude de prier ou d'invoquer, des personnages qui faisaient partie de ses connaissances, de ses coutumes familiales coulées dans la profonde tradition de dévotion mystique et de crainte révérencielle en vigueur en cette fin de Moyen-Âge.
Imagination et intuition fonctionnent de concert et en symbiose, elles se parfont dans une stimulation réciproque. De ces deux facultés, Jeanne, fagotée de tous ces enseignements et révélations qui abreuvaient ses croyances, alimentaient son imaginaire, ne devait pas être dépourvue. Aussi les voix de Jeanne, « réécoutées » sans le filtre de l'obscurantisme intrinsèque de la religion, rendent des sons connus, sinon banals, en tout cas dépourvus de surnaturel, pour qui a déjà entendu parler l'imagination et écouté sourdre l'intuition.
La Pucelle d'Orléans ayant contribué par son obstination et sa détermination à bouter l'étranger hors de France, son image, dans la tradition française, s'est vue coulée dans le bronze du symbole de l'indépendance nationale. Le dossier Jeanne d'Arc est clos
et ce ne sont pas des allégations non consacrées qui pourraient ternir le prestige de la sainte. D'abord en quoi risqueraient-elles d'altérer le symbole que représente Jeanne d'Arc ?
En rien, ou plutôt si, en beaucoup, mais dans le sens d'un enrichissement. Jeanne, personnage doté de pouvoirs surnaturels, ne pouvait m'inspirer que de l'étonnement, mais sûrement pas de l'admiration. En revanche, je peux avoir de l'admiration pour celle qui, chargée de son humanité comme tout un chacun, s'est laissé emporter au bout de son intuition, est allée au bout de son rêve
jusque-là où le rêve s'évanouit
Le surnaturel sied mal à la sainteté.
Appel intérieur venu de l'extérieur
Le couple cognitif intuition-imagination, débarrassé de sa connotation surnaturelle, n'est autre que l'inspiration. De son économie procède la vocation. Le processus jouit somme toute d'une grande popularité, et ses effets demeurent le plus souvent cantonnés dans les limites de l'ordinaire. Assumée dans un cadre « normal », la vocation conduit à réaliser, voire à assouvir une passion. Lorsque la vocation flirte avec l'outrance, elle peut bousculer les limites du cadre et basculer dans l'extraordinaire. Gonflée par ses débordements, elle en vient à prendre les allures d'une mission. À peu près tous les personnages hors du commun - au sens propre, sortis du commun (ce qui n'implique pas la filiation : l'héritier d'un grand roi ne sera, d'abord, qu'un roi ordinaire) - ont vécu la réalisation du schème de la vocation exacerbée.
La vocation reste le résultat d'un appel, ou plus exactement la réponse à un appel, car beaucoup d'appels ne trouvent jamais d'écho. La vocation : un appel - c'est bien le sens étymologique du mot (vocare, appeler). Un appel intuitif, un appel intérieur venu de l'extérieur, car toute source intérieure trouve son origine dans un vécu qui a alimenté la mémoire, et partant le rêve. Le rôle du rêve n'est pas neutre dans le déclenchement de la vocation, ni dans les choix qui vont motiver l'action, solliciter la réalisation de la mission. Rêves de gloire ou de gloriole
Un appel qui revêt des formes multiples - le caractère religieux n'étant que l'une de ces expressions
Que l'on songe au caractère qui animait les vocations des jeunes Napoléon et Adolf, et au caractère de mission qu'ils ont donné à leur réponse. Aussi, contrairement à ce que pourraient laisser croire les apparences, invoquer Jeanne d'Arc en tant que sainte ne confère en rien à sa mission un caractère religieux
La mission de Jeanne, compte tenu de sa condition de paysanne, apparaît comme une mission impossible, invraisemblable. Mission originale, spécifique, qui doit beaucoup - c'est bien le propre d'une mission - aux circonstances, à un contexte. Jeanne va mettre son grain de sel - et un peu plus - dans une guerre entre rois chrétiens, dont l'un, étranger, vient « chasser » sur les terres de l'autre, seigneur timoré et mal assuré de sa légitimité. Aussi Jeanne est-elle une héroïne - ce qu'elle a dû souhaiter être - qui se bat les armes à la main, avant d'être une sainte - ce dont elle se serait abstenue si elle avait eu connaissance des conditions d'obtention du viatique. Sa mission n'impliquait sûrement pas une vocation de vierge et martyre. Ces distinctions, fruits de dispositions aussi conjoncturelles que malencontreuses, lui furent octroyées par surcroît
libéralités posthumes.
Revues comme procédant de l'intuition associée à l'imagination, beaucoup de vocations retrouvent un visage plus humain, plus authentique, pétri de grandeur, parfois de sainteté, ou encore d'abomination. Quant à la mission, elle ne fait que dans les extrêmes, elle ne s'encombre pas de demi-mesures, la tiédeur ne compte pas au nombre de ses attributs.
Nécessité faite Loi Après moins de deux-cents ans de service, la révision du code Napoléon (1) commence à se profiler. Avec cet âge respectable, ce code, l'un des objets de la mission de son inspirateur, a fait son temps.
Après plus de trois-mille ans, la loi mosaïque est toujours en vigueur. L'aura de Moïse, pour ceux qu'elle interpelle, est toujours aussi brillante. Moïse, mythe ou destin extraordinaire ? Un appel, une vocation, une mission ? Dans tous les cas, l'écho d'un « personnage » charismatique - aux dons conférés par grâce divine.
Moïse, c'est la pierre angulaire, que dis-je, c'est, tout à la fois, les fondements et la clé de voûte de la tradition juive. Celle-ci attribue à Moïse la révélation du nom d'un dieu unique - YHWH (Yahvé) -, les principes fondamentaux de la religion (le code d'Alliance divine et les lois morales), l'unification des tribus d'Israël en un peuple et la rédaction de la Loi - en hébreu, la Torah. Et, comme il se doit, cette tradition reconnaît à Moïse des pouvoirs surnaturels
que l'iconographie, très traditionaliste, ne manquera pas de stigmatiser par une ornementation frontale très explicite (deux faisceaux irradiants ou deux aigrettes célestes). La Torah - aussi appelée le Pentateuque, car composée des cinq premiers livres de la Bible (la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome) - constitue le noyau primitif de la littérature biblique. Elle contient, outre la loi mosaïque, une histoire des Hébreux depuis les Origines - premier et second départs, celui de la Création et celui de l'après-Déluge - jusqu'à la mort de Moïse en l'an 2553 (compté sur un calendrier dont la tradition hébraïque, héritière de la tradition chaldéenne, fixe l'origine avec celle de la Création
qui, recalée sur le calendrier grégorien, aurait été implantée en ~4026). La Critique, d'inspiration plus triviale, sur des fondements ostensiblement scientifiques qui associent archéologie, méthodes de datation moléculaires, lexicologie et aussi herméneutique, voit dans la Torah une composition certainement moins monolithique. Elle a distingué trois époques principales de rédaction, repérées respectivement aux ~IXe, ~VIIIe et ~IVe siècles, autrement dit bien longtemps - une bonne poignée de siècles - après la fin des temps mis en vedette dans la saga.
La Torah emprunte d'abord largement à d'anciens récits liés à l'histoire de Babylone, à de nombreux mythes ou enseignements chaldéens, puis elle reprend et adapte des éléments de la civilisation égyptienne. Le véhicule de ces différentes sources, au travers de générations plus orales que lettrées, est un vecteur très populaire : le racontage
vecteur qui, pour être très convivial, reste assez sujet aux erreurs de copie. Et, facteur essentiel sinon premier, dans sa narration de l'histoire des descendants d'Adam, de Noé et des fils d'Israël, la Torah intègre le merveilleux dans une fonction bien précise, un rôle précieux, c'est le merveilleux didactique.
Il faut rendre cette justice à la Torah, ses scribes n'ont rien inventé, ou si peu
Adaptation avant d'être création. L'inspiration propitiatoire dont elle entend se faire l'écho résonne de la mémoire du temps des espérances perdues et des illusions glorieuses
malgré tout, la mémoire d'âges au parfum de bon-vieux-temps. Coller à la réalité historique n'a jamais dû être la préoccupation première de ses rédacteurs dont les buts étaient, suivant les aléas de la fortune, de rétablir ou de maintenir les fondements d'une unité sans cesse malmenée par les schismes, menacée par des querelles intestines, ethniques et idéologiques entre les douze tribus d'Israël, par ailleurs toujours aux prises avec d'incessants retours à des pratiques polythéistes et guettées par une assimilation dans le giron des croyances cananéennes (2). Une telle nécessité a force de loi, aussi c'est cette nécessité qui donne toute sa force à la Torah
Raviver l'empreinte des vicissitudes heureuses et malheureuses d'un passé commun afin de préserver une unité toujours compromise, en butte aux revirements, était le sens premier qui a motivé la compilation de ces « histoires » parsemées de symboles et qui ressassaient à coup de psalmodies les pérégrinations des ancêtres, les tribulations des idolâtres, la résistance à l'oppresseur, la déférence aux prêtres.
Les scribes hébreux, qui avaient repris à leur compte d'anciennes « vérités » colportées, auraient pu inscrire en exergue du premier rouleau de la Torah cette vérité - primordiale avant d'être belge - « L'union fait la force ». Aussi, forts de leur détermination, les rédacteurs, répondant à leur vocation, remplissant leur mission, ne s'encombrent-ils pas de détails qui pourraient desservir l'objectif, d'autant plus que les clefs qui permettaient la traduction des évocations et des symboles étaient, alors, immanentes au vécu de l'histoire contemporaine, connues de chacun. Composition symbolique cryptée pour une époque, asservie à ses coutumes. Plus tard, un peu par l'érosion du temps, beaucoup par les vertus de la mémoire courte - vertu toujours en usage -, la Torah est devenue gnose, non par excès de savoir mais, plus bêtement, par ignorance.
L'allégorie qui s'articule au cœur des récits prend ses composants dans une culture, s'inspire de ses mythes. Lorsque pouvait paraître en manchette d'un canard satirique « Dieu n'est pas sourd, il n'est que solitaire », aucun raz de marée ne venait agiter l'eau stagnante des bénitiers. Sur le moment, au moins dans les limites de l'Hexagone, tout un chacun, parfaitement au fait du contexte, savait bien que la grenouille fréquentait une mare autrement plus guillerette. Mais, après-demain, les coassements de la ranacula oubliés, la narration des histrions pourrait bien donner lieu à une interprétation moins sémillante
L'historien aux prises avec une saga pourra, plus souvent que parfois, avec difficulté, y retrouver les traces du réel, car si le mythe ne se développe pas en toute indépendance vis-à-vis du réel, il n'a pas pour vocation à être une page d'Histoire
L'Histoire s'écrit avec cette encre sanguine qui filtre d'un tissu d'histoires, petites histoires de la vie et de ses saccades de fer et de feu, mais aussi, pour en glorifier l'odieux et entretenir l'inflation belliciste, histoires de héros investis des armes divines. Une expédition d'aventuriers en mal d'avoir, de baronnets en quête de gloire facile et de fiefs juteux, par la grâce de l'épopée, deviendra une croisade des défenseurs de la foi menée par un roi porteur de l'étendard du Très-Haut.
Alors, oui, Moïse a bel et bien existé
au moins comme symbole fédérateur. Seul le charisme d'un Moïse pouvait maintenir la cohésion d'un peuple en butte aux divisions. Cette capacité à rassembler, à unifier, suffit à lui donner vie. Qu'importe s'il s'agit d'une vie posthume, la Torah sera son cénotaphe. L'aura de Moïse est la plus réelle qui soit. L'aura - bis repetita -, ce sont ses effets qui la rendent réelle. Pour justifier de l'assise d'un grand prophète, il lui faut un destin hors du commun. Le Delta du Nil est une étape culturellement ou, ce qui en l'occurrence est analogue, mythiquement obligée. Moïse, nous dit son livre, est d'extraction modeste, fils d'Amram « un homme de la tribu de Lévi ». Sauvé des eaux du Grand Fleuve par un stratagème qui le fait échapper au massacre des enfants mâles de la descendance de Jacob ordonné par Pharaon, Moïse reçoit l'éducation la plus insigne, celle d'un fils d'Égypte - d'où son nom, Mosché en hébreu - au sein des palais du delta sacré
Culture judaïque, mythes mosaïques
inspiration plagiaire ou culture ancestrale, quelques générations plus tard, l'évangéliste, juif avant d'être chrétien, reprendra les mêmes ficelles mythologiques
des ficelles éprouvées. Dans son avant-propos, après l'évocation plaisante du signe céleste apparu aux mages coureurs d'étoiles, l'auteur, pour soustraire son héros - pur sang juif - à une « nouvelle » extermination des nouveau-nés mâles ordonnée par le roi-oppresseur local, l'enverra, par la grâce et le truchement d'une inspiration onirique, séjourner, comme il se doit, dans le pays « berceau des dieux ». Nul doute qu'au temps de Vespasien, entendement alors implicite, l'auteur sous-entendait Héliopolis (3). La suite de l'histoire ne sera pas moins exemplaire quant à l'efficacité prosélytique du genre. Elle exhibera de nouveaux symboles empreints d'un charisme tout aussi révélateur que celui des Anciens, une nouvelle alliance scellée dans le sang, de nouveaux cénotaphes sources de révélations toujours plus vraies
le tout, tout aussi mythique.
L'esprit de la lettre
Avec l'avènement de l'écriture, la mémoire se conserve et se transmet, devient plus facilement collective, des archives se constituent, l'Histoire laisse des traces. Des histoires de conquêtes et d'invasions, deux sons de cloche pourront se faire entendre des générations futures, celui du conquérant, mais aussi celui du résistant. À chacun sa version
enluminée ou fardée, grossie ou minimisée, mais quand même une version nourrie des jeux du temps. Il n'est que de parcourir la Bible pour se rendre compte qu'après Salomon, le récit de l'histoire des Hébreux, dans des formes très variées, avec partisanerie certes, s'inscrit quand même dans la réalité d'un courant historique, un courant et une histoire qui s'accommodent, alors, de vieillards moins que centenaires
C'est une tout autre histoire avec la Torah.
Didactique, ses vérités sont circonstancielles avant d'être circonstanciées
circonstancielles, non de l'événement narré, mais d'un présent nécessiteux. Avec le crédit que confère la coutume ancrée dans le besoin d'exprimer la connaissance de ses racines, le temps a donné à la Torah, à ses textes dits inspirés - quel texte n'est pas le fruit d'une inspiration ? - et sacrés - comme peut l'être tout écrit porteur d'une vérité revendiquée -, le sceau de l'authenticité divine. La Torah devenait ainsi dépositaire de la Vérité. Les origines du mythe oubliées, la mystification s'installe. Infrangible et hors du temps, sous le cal épais des croyances, la tradition a conféré aux dires des mythes un statut qui leur donne préséance sur la vérité historique
Et la lettre remplaçant l'esprit qui avait présidé à la rédaction de la Torah, les clés de l'interprétation égarées, l'Histoire s'est effacée devant le Mythe qui, détourné de son sens, s'est vu érigé en vérité dogmatique, et ses apartés transformés en lois intangibles.
C'est cette vérité fervente, fruit d'une immémoriale précarité, chargée pour toute une nation d'un caractère divin, donc doctrinaire, qui constitue les fondements d'un imbroglio politico-religieux. Le peuple juif attend son messie, l'envoyé de ce Dieu qui, raconte le verset canonique, du cœur du buisson ardent sur les pentes de l'Horeb, s'est défini dans cette formule absconse : « Je suis celui qui suis. » Par-delà ses fondements légendaires, la révélation de ce nom véhicule une formule sans âge, venue d'on ne sait où
De là à dire de l'au-delà, il n'y avait qu'un pas.
Europa vel regnum caroli
L'Europe devient une réalité, économique et politique. Mosaïque de peuples sans même une unité linguistique, à douze, puis à quinze, et plus demain, ce cénacle d'états singuliers cherche aujourd'hui la volonté de mettre en commun des intérêts pluriels sous l'égide de leurs différences bien flagrantes. Cette volonté d'union, réelle dans bien des domaines, est encore mal assurée : ce ne sont pas les velléités nationalistes qui font défaut. Mais, en dépit de ces réticences, c'est bien un passé commun, émaillé de guerres et de paix, de haines et de connivences, qui constitue le meilleur ciment d'une unité en devenir, le ferment de l'être capable d'inhiber l'inflation de l'avoir. |