Ostinato… homo: credo - Jeux d'artifices
Jean-Michel Pionetti
éditions autodafé
ISBN 2-9805745-0-3

 

Des sens des signes

Surgit sur les mortels de divers points
la lampe du monde, mais, venant de celui
qui joint quatre cercles à trois croix,
d'un meilleur cours et sous meilleure étoile
elle s'élève, et la cire terrestre
plus à son mode forme et marque.


Dante, La Divine Comédie (1)
Paradis, Chant I, 37-42.

 

Zodiaque d'hier et d'aujourd'hui

    Alors, retour à la case départ. Ayant compris que la ceinture du Zodiaque devait être considérée comme une toile de fond, ou mieux, comme un écran gradué, je pouvais revenir vers mon interrogation initiale, celle qui avait déclenché cette mise en appétit de l'astral : nos « signes » sont-ils faux ? Comment se fait-il que les natifs du 21 mars en ce vingtième siècle soient Bélier alors qu'ils devraient être Poissons ? La mire des horoscopistes serait-elle déphasée ?
    La réponse pourrait tenir en quelques tableaux de quatre saisons : les feuilles tombent en automne, le blé mûrit sous le soleil d'été, les hirondelles reviennent au printemps. Sibyllin ? Même pas. Ne s'agit-il pas de tableaux bien connus d'un cycle naturel ? Au terme des explications plus circonstanciées qui vont suivre, ils devraient prendre tout leur sens… un sens parfaitement intégré au Zodiaque. Et ce sens ne se révélera guère plus ésotérique que la magie hexagonale d'un flocon de neige en hiver… car lorsque j'ai obtenu, et surtout saisi, les éléments du « pourquoi ces signes ? », ils sont apparus comme l'émanation d'un parfait bon sens et somme toute proprement - l'adjectif dans un contexte qui fraye avec l'astrologie pourra paraître incongru, mais c'est certainement le mieux adapté - rationnels.
    Quant au fondement de la réponse, il est historique, mais pour en arriver à la fulgurance de son ancestrale simplicité, il a fallu se laisser glisser, sans opposer de résistance, dans le courant charivariesque de l'hermétisme, là où l'image horoscopique du Zodiaque laissait encore transparaître des bribes de ce qui fut la découverte des mages.
    Mais comment diable le Zodiaque, ce diadème de conception magique, avait-il pu échouer au milieu de ce repère d'augureux ?

    Son affaitage parfait, le firmament des mages affichait toutes sortes d'épigraphes qui, en quelques points scintillants, renvoyaient la quintessence de sagas fabuleuses, toutes, sorties de la vie des hommes. Avec le crible du temps, nombre des images de la voûte puzzlée se sont délitées, et leurs couleurs malmenées dans la javel des humeurs radicides ont pris un sérieux coup de vieux. Pourtant, certaines compositions, on dira grâce à leurs accointances avec l'astre flamboyant, se sont vu octroyer les arguments d'une pérennité de carambouille. Le Zodiaque, avec ses douze constellations, est devenu - j'allais écrire la pierre angulaire, mais, s'agissant d'une couronne, on pourrait dire - le joyau de l'astrologie, son appui fondamental.

Les astrologues ne savent pas lire dans les étoiles

    Pour se livrer à ce genre d'investigation, il fallait au préalable faire table rase des idées reçues ou préconçues, et en premier lieu de celle qui voulait que les astrologues lisent l'avenir dans les étoiles. Idée complètement fausse, comme on va le voir, véhiculée par un courant délétère d'assertions dénuées de fondements, voire même trafiquées, et entretenu, c'est normal, par des détracteurs - et, en la matière, on est d'autant plus irréductible que l'on est ignorant -, mais également, et là c'est plus surprenant, pour des motifs bien différents, par certains astrologues déroutés qui ont assuré leur fond de commerce sur une telle croyance. Quant à cette histoire du destin écrit et lu dans les étoiles, elle n'avait vraiment rien pour m'inspirer confiance, d'autant plus qu'à vue d'horoscopes, il ne s'agissait même pas de destin individuel, mais quasiment de prévisions en blots pour collectivité. Douze signes se partageaient le gâteau de la destinée. Quel gogo pourrait avoir envie de gober de pareilles sornettes ?
    Mais le constat était là. Ramener l'astrologie à cette fange ne relevait même pas d'une vision simpliste qui m'aurait donné l'excuse de l'ignorance, mais de ce qu'il faut bien appeler un antioccultisme primaire, car… les astrologues ne lisent pas dans les étoiles. À y regarder de plus près, des astres innombrables, pour leur pratique, ils n'ont cure tout au plus que d'une dizaine, et en fait d'étoiles, ils n'ont de commerce qu'avec une seule, le Soleil. L'astrologue n'est pas - n'est plus - un mage, les étoiles ne sont pas du domaine de ses compétences… alors que le mage, lui, savait lire les histoires d'antan écrites au firmament, des histoires aux vertus didactiques qui ont pu servir de guide, voire orienter quelques destinées fourvoyées.
    Alors dans quoi les astrologues lisent-ils donc ? Comme tout le monde, dans les livres, avec une prédilection pour les éphémérides. Ce sont des recueils qui donnent, pour chaque jour, voire pour chaque heure, les positions angulaires des astres du système solaire. Muni de ces repérages, pour les seuls astres perçus comme « circulants » (le Soleil, la Lune et, aujourd'hui, huit planètes), l'astrologue, observateur « par construction » géocentré, localise sur l'anneau zodiacal (règle qui fonctionne exactement comme un rapporteur d'angles) ces dix astres de façon panoramique, comme autant d'ombres projetées sur un tour d'horizon. C'est là que le Zodiaque des mages-astronomes, ce calicot qui disait le juste temps et les espoirs de la terre, devient la carte du ciel, le sésame oraculaire des astrologues.
    Donc, l'astrologue ne s'intéresse qu'à la position du Soleil, des planètes et de la Lune par rapport à la Terre. Et encore ! Seule la « caractéristique angulaire » de ces positions entre en ligne de compte dans son montage, car les distances, elles, ne comptent pas. De la Terre à la Lune ou de la Terre à Saturne, toutes ces fluctuations d'espace sont ramenées à une seule et même portée, car, pour le praticien astral, la circulation des intervenants est confinée sur un horizon aux vecteurs équipollents (2). Pour le reste, tout ce qui est en dehors du système solaire lui importe peu. Le Zodiaque avec ses constellations ne lui sert, en première instance « conformément » à sa fonction, que de règle de visée, d'écran pour ses projections des astres « influents »… mais, des étoiles, il se passe complètement. Je pourrais ajouter, et ce ne serait pas une révélation, que nombre d'astrologues se trouveraient bien en peine s'ils devaient, sous un ciel étoilé, ausculter Antarès dans le Scorpion, les deux Gémeaux, Castor et Pollux, ou, encore plus simplement, localiser la ceinture du Zodiaque… car le Zodiaque n'a pas été conçu pour des affaires de cabinets. S'il y a de la magie dans le Zodiaque, c'est là, en plein ciel, qu'il faut la chercher, là où la perspicacité des mages leur avait permis de trouver le truc : l'écliptique.

De Mésarthim à Greenwich

    Si les étoiles n'intéressent pas directement l'astrologue dans l'exercice de son « art », ce qui en revanche lui importe fondamentalement, c'est de disposer d'un système de référence simple pour établir ses rapportages du Soleil et des planètes. Le Zodiaque, aux origines édéniques - le qualificatif désigne cette région où coulent le Tigre et l'Euphrate que l'auteur inspiré nomma l'Éden et que l'historien appellera la Mésopotamie -, fut et demeure le plus approprié des rapporteurs. Sur ce cercle figurent, nous l'avons vu, des divisions de deux types : des divisions ordinales (360 marques réparties sur 12 secteurs) et des divisions figurées fournies par les étoiles associées en douze constellations. Ces signets étoilés et imagés furent les premiers en usage. Les autres, les chiffrés, ne trouveront leur place, donc leur sens, qu'après l'attribution d'une origine fixe - un zéro - à la règle de lecture formée par le Zodiaque.
    Dans le ciel d'Hipparque, lors de l'équinoxe de printemps, nous avons « vu » que le Soleil apparaissait dans l'axe de Mésarthim, étoile de la constellation du Bélier. Cette observation comprend deux termes bien distincts. Le premier terme - dans le ciel d'Hipparque lors de l'équinoxe de printemps - est le terme tropique. Il traduit d'un mot - équinoxe - une configuration Terre-Soleil bien précise, une position caractéristique de la planète dans son rapport au Soleil, et même si cela était perçu par Hipparque comme un point de passage particulier du Soleil dans sa course autour de la Terre, il s'agit toujours de la conjonction qui conduit à observer l'égalité de la durée du jour et de la nuit. (On ajoutera, puisque les deux occurrences sont deux manifestations d'un même phénomène - nous l'avons vu plus haut -, que c'est aussi le jour où le Soleil va passer au zénith de l'équateur.) Le second terme - le Soleil était dans l'axe de Mésarthim -, lui, est sidéral et concerne l'indication donnée par la marque du Soleil sur la bande étoilée du Zodiaque. Mésarthim se trouvait à jouer là un rôle essentiel pour l'observateur qui souhaitait conserver la trace de ce jour particulier - jour annonciateur des germinations promesse d'abondance - et transmettre le moyen de repérer cette marque de passage. Cet alignement, Terre - Soleil - Mésarthim, constituait une graduation céleste. Sur les graduations ordinales du cercle d'Hipparque, elle fixera l'origine, le point de référence zéro.

    Ce choix est fondé sur une association conjoncturelle on ne peut plus logique, un choix qui, au demeurant, est pourvu d'un sens infiniment moins arbitraire que celui qui a prévalu lorsque le besoin de fixer la position d'un méridien-origine est devenu une nécessité logistique. Greenwich, petite localité portuaire de la banlieue londonienne, choisie à la fin du XVIIe siècle par l'astronome John Flamsteed et l'architecte Christopher Wren pour y ériger un observatoire, s'est retrouvée, par un modus vivendi de fortune décroché au congrès de Washington en 1884, figurer le zéro des méridiens qui divisent la circonférence terrestre (3)… selon le modèle du Zodiaque d'Hipparque… en 360 degrés. C'est ainsi que Greenwich devint à la planète ce que Mésarthim fut au Ciel… dérive précessionnelle en moins… Quoique ! Avec la dérive des continents, qui sait où sera Albion et son observatoire fétiche dans mille fois mille ans, alors que le méridien, lui, sans autre substance que celle d'un consensus, aura conservé sa place comme l'arrivée du printemps par temps d'équinoxe.
    De nos jours, par beau matin de la deuxième décade de mars, l'observateur averti verra que le soleil levant ne pointe plus en direction de Mésarthim dans la constellation du Bélier, mais vers un point de la constellation des Poissons (un point proche de la queue du second poisson, un peu avant le pentagone d'étoiles qui en dessine le corps). En visant ce point de ciel, qui aujourd'hui donne le point zéro de l'horizon zodiacal, Hipparque, sur son cercle, aurait lu un alignement avec la division 335.

Entre les deux, mon signe balance

    Isabelle est née le 21 mars. Alors, encore une fois, Bélier ou Poissons ?
    L'important pour elle n'est pas d'être née le 21 mars, dont le libellé ne constitue qu'un artifice de calendrier, une date froide comme un registre d'état civil, mais bien d'avoir pris son premier souffle dans l'air du premier jour de printemps, le jour de l'équinoxe… et c'est bien cette distinction caractéristique qui est affichée avec le premier jour placé sous l'étiquette du Bélier, le meneur du troupeau. Il serait inconvenant que l'équinoxe soit affublé de l'insigne frappé des Poissons, car le mois auquel fut dévolu cet emblème (voir la figure) était le dernier des mois d'hiver avec toutes ses prérogatives, et l'observation, même la plus critique, n'a jamais démenti durablement la condition de ce mois coiffé à frimas.
    Aussi la réponse qui s'accorde au bon sens ne peut être que Bélier, et cela nonobstant une quelconque apparence de glissement d'étoiles. L'arrivée du printemps est une affaire entre la Terre et le Soleil qui ne saurait souffrir l'intervention d'une tierce étoile, fut-elle zodiacale. Tout bruit d'ingérence extérieure dans cette relation particulière ne serait que racontar sidéral.

Autres histoires de rapporteur sur des appellations contrôlées

    Les prévisions des mages avaient amplement suffi au bonheur des laboureurs pourvoyeurs de grains. Aussi, pour rendre justice à ces premiers rapporteurs, il faut dire que, lors de l'établissement de l'almanach sidéral - et cela bien avant qu'Hipparque en fasse un cadran numérisé -, le parallèle établi entre les marques de passage du soleil levant sur un cartel d'étoiles et les humeurs saisonnières du terroir passait pour être éternel. À vue de vie d'homme, le synchronisme était parfait et chacun des signes tenait d'une appellation contrôlée. Aucun mage ne se serait risqué à penser qu'une substitution pouvait être possible. En fait, pour percevoir le lent glissement qui s'opérait, il fallait laisser au temps le temps d'insérer un hiatus qui puisse être repérable. Sans les marques répertoriées par des Nabu-Rimanni et des Kidinnu, Hipparque, comme les autres, aurait manqué le coche.
    En Mésopotamie, lors des dénominations vernaculaires, l'image du Verseau, chargé de la symbolique du porteur d'eau, a été attachée au mois marqué par l'arrivée de la période des pluies et, souvent, des inondations. Ce mois prenait ainsi un nom qui, pour tous, avait un sens, et Ganymède se retrouva plaqué sur un bouquet d'étoiles, non pas pour attifer une trame sidérale préexistante, mais pour devenir le support d'une histoire d'eau lisible par tous. Aurait-il fallu par la suite - plusieurs siècles plus tard - se laisser abuser par l'inclination de « la toupie » à changer d'étoile polaire pour affecter à ce mois, qui dans la tradition atmosphérique véhiculait - et véhicule toujours - toutes sortes d'impedimenta aquifères, les attributs du Capricorne ? En son temps, l'association avec le mythologique poisson-chèvre s'était faite suivant un sens idoine, un sens qui collait à la couleur habituelle du moment. Aussi, en se livrant à un changement incongru, le sens originel de l'appellation aurait été perdu. Verseau devint le label d'un mois connu pour ses pluies copieuses et ses débordements, en raison de la signification qualificative du vocable, et non pour les vertus secrètes d'un regroupement d'étoiles qui se trouvait figurer là lors de la remise des insignes et des hôtes-épigraphes.
    

Zodiaque et Saisons

    L'orbite du Soleil -- dans cette représentation doit être comprise comme l'orbite apparente telle que perçue d'un point de vue géocentrique (la Terre - - occupe le centre). La réalité de cette « vision » repose uniquement sur les divisions angulaires de la projection du Soleil sur le cercle zodiacal dont chaque secteur de trente degrés a conservé le nom de la constellation qui y figurait lors de la mise en place du référentiel constellé. Un soleil de naissance en Balance signifie simplement que l'affilié à ce signe est venu au monde au cours du premier mois de l'automne (le début de ce mois étant marqué par « l'équilibre » entre le jour et la nuit). Ni plus, ni moins.
    On se rappellera aussi que le plan de la feuille sur laquelle figure ce schéma n'est autre que la représentation du plan de l'écliptique.

    Ce fut, pour l'essentiel, ce même cheminement qui a présidé à l'attribution de chacun des douze labels mensuels. La chronique du temps avait naturellement orienté le choix ad hoc des appellations, fixé l'iconographie. Le temps ayant fini par révéler l'inconstance sidérale de la planète, le Ciel conserva les gravures, et la belle hôtesse s'accommoda des insignes pour annoncer ses humeurs. En maintenant, sur les douze secteurs de la règle zodiacale, les noms donnés lors des appariements initiaux secteur-constellation, ce qui demeure, c'est uniquement le sens qui avait présidé à ces associations. À chaque tableau est attaché un segment de l'année, plus précisément un mois zodiacal, le tiers du temps imparti à une saison… toujours la même, et cela quelle que soit la position des étoiles… saisons dont les jalons, équinoxes et solstices, indéfectiblement rappelleront les ondulations de la relation Soleil-Terre, ses hauts et ses bas, ses chauds et ses froids. Aussi l'enchâssement des « signes », sous peine de perdre son sens, n'aura jamais à être rectifié pour satisfaire une quelconque dérive sidérale. L'année calendaire, qui sert de base à la répartition des activités civiles et religieuses, a dû subir différents ajustements pour se remettre en phase avec la « réalité saisonnière »: la julienne est devenue la grégorienne. Le système zodiacal des premiers astronomes, astrologues itou, n'a pas eu à connaître de telles péripéties. Juste il était, juste il est resté. Le glissement observé, s'il a un sens géodynamique certain, n'a, en revanche, strictement rien à voir avec le sens des signes et leur agencement. Le Zodiaque d'Hipparque, Bélier en tête, conservé sous le manteau de la tradition astrologique, pour aussi longtemps que reviendra le printemps, n'aura jamais besoin d'une bulle papale ou d'un congrès international des poids et mesures pour être révisé ou recalé. Par nature, il est perpétuel. Et pourtant, cette qualité, que bien des institutions pourraient lui envier, finira par lui être contestée au nom de… la rationalité. Rationalité scientifique, il va sans dire.
    En douze ou en trois-cent-soixante, le Zodiaque n'est rien de plus qu'un almanach monté dans un rapporteur. Ses douze « signes » y figurent, chacun comme l'en-tête solidaire de son mois d'affectation, comme aujourd'hui les douze illustrations mensuelles d'un calendrier. Pour être devenue banale, cette « évidence » avait encore un parfum de magie lors du temps où le calendrier n'avait que les couleurs des saisons.

Le bon sens païen

    Souvent imité, jamais égalé, le Zodiaque, parce qu'il était un véritable almanach, a suscité bien des tentatives de contrefaçon. L'une des plus célèbres, la plus réussie aussi, fut sans conteste celle qui marqua en France l'avènement de la République. Débarrassé de la tutelle ecclésiastique, le calendrier épuré de ses références christianisantes redevenait païen, en d'autres termes endossait une religion naturelle, laïque, et sous l'égide de la déesse Raison se convertissait à la « religion du Zodiaque ».
    Vendémiaire, Brumaire, Frimaire. Nivôse, Pluviôse, Ventôse. Germinal, Floréal, Prairial. Messidor, Thermidor, Fructidor. Est-il besoin d'un long discours pour justifier ces appellations ? Le préfixe affiche le caractère dominant du mois, la terminaison le place dans le cadran des saisons. « À l'ancienne », à la chaldéenne ou, plus sûrement, à la phrygienne, avec le premier jour de l'année fixé à l'équinoxe d'automne, avec douze mois de trente jours assortis de cinq ou six jours concurrents dévolus aux agapes et aux épanchements révolutionnaires, le calendrier de la République, s'il ne faisait pas dans la nouveauté, respectait à tout le moins la rigueur des révolutions saisonnières. Il ne sera pas besoin d'un dessin pour deviner lequel de ses mois correspondait au Verseau, ou encore quel est celui qui marquait l'arrivée du printemps.
    Le dessein qui a présidé à l'attribution de ces vocables, qu'ils aient été entérinés par les mages de Babylone ou par les Girondins de la Convention, était, quant à l'idée, chaque fois le même : disposer d'un almanach qui, d'un mot, d'une image, fixait les limites d'un contexte temporel, le cadre d'un mois.
    Trop païennes et trop chargées d'exactions anticléricales pour satisfaire les exigences pontificales d'un sacre impérial, la franciade (4) et sa carmagnole météorologique seront radiées des almanachs avant la fin de l'an XIII. Retour au giron romain et à ses saints grégoriens. Pour le sens, on se consolera avec la Saint-Valentin…
    … Car pour le reste, s'il fallait justifier le sens du très chrétien calendrier, on se perdrait rapidement dans de fâcheuses circonlocutions pour expliquer que septembre, octobre, novembre et décembre sont devenus les neuvième, dixième, onzième et douzième mois de l'année après avoir été - comme leurs noms l'indiquent - les septième, huitième, neuvième et dixième mois de l'année aux douze calendes commanditée par Jules César… cette julienne dont le premier mois avait été fixé pour coïncider avec l'arrivée des bourgeons et intégrer la marque de l'équinoxe de printemps… Sens simple d'une logique naturelle.

Pince-sans-rire

    Voici une autre illustration choisie pour le plaisir d'une cocasserie retrouvée dans une histoire de constellation partagée, une histoire qui recèle les traces d'un sens originel oublié. Et comme le détournement de sens en question a conduit à glisser une coquille dans un « diagnostic augural », pouvant faire d'une date deux coups, j'en profiterai pour glisser l'erratum.
    Si vous êtes né le 2 octobre, vous devez savoir que votre signe du Zodiaque est la Balance. Ce que vous ne savez peut-être pas, c'est que votre soleil de naissance, en réalité, se levait dans la constellation de la Vierge (règle n°2 - voir Ères de Zodiaque - Glissade à travers les ères). Alors Vierge ou Balance ?
    Ce qui doit être clair, c'est que le jour de votre naissance, sur le cercle aux 360 divisions, le soleil levant venait illuminer la division "188" comptée à partir du zéro calé sur l'équinoxe de printemps (voir la figure précédente), et cela indépendamment de toutes considérations de signes ou d'étoiles. Ce repérage chiffré n'est qu'une simple donnée qui traduit un moment du cycle de la relation Terre-Soleil ; cent-quatre-vingt-huit degrés : une graduation qui a la même valeur qu'un 2 octobre sur un agenda dépourvu de poésie. Cette configuration spécifique Terre-Soleil revient chaque année quel que soit le glissement que le Zodiaque ou toutes les étoiles de l'Univers aient pu donner l'impression de faire entre-temps. (Pour le montage de votre carte du ciel, c'est cette position, inaltérable, à 188 degrés du point vernal, qui sera prise en compte sans aucune considération pour les étoiles en place, fussent-elles de la Vierge.)
    En furetant dans les archives de l'histoire des constellations [6], on découvre, sans être autrement surpris, que le script des histoires attachées aux constellations avait subi les transformations inhérentes au passage des civilisations. C'est ainsi qu'antérieurement à la révision « mathématique » du Zodiaque, dans ce bout de ceinture écliptique où se trouve la division "188" (le septième secteur, auquel les réformateurs romains attribueront l'insigne de la Balance), ont scintillé pendant de nombreuses générations les étoiles qui figuraient la pince sud du Scorpion… un grand Scorpion qui avait sur le Zodiaque les honneurs d'un signe double. Lors du remembrement du cadran étoilé, la cause calendaire imposant ses mensualités, on ne s'est pas soucié outre mesure de savoir si le redécoupage amputait une histoire d'un sens dont ne subsisterait qu'une exuvie.
    Les vendanges patronnées par Bacchus se faisaient sous l'égide de la Balance ; il n'y a rien de changé pour les vendanges de Saint-Émilion… et les écarts de degrés qui affectent les grappes sucrées ne sont dus qu'aux vicissitudes des relations entre la Terre, ses terroirs et le Soleil. Côté influence, les étoiles peuvent toujours se balader, les crus, grands ou petits, ne leur ont jamais soutiré le moindre éclat de saveur. Aussi soyez rassuré, si Phœbus vous réchauffe, vous êtes bien une Balance
    … Et, si d'aventure vous avez pour ces affaires signalétiques un penchant curieux, gardez un œil ouvert… car si un devin patenté augurant sur les chances d'une « association » Balance-Scorpion vient à vous déclarer : « Prenez garde, vous, Balance toute proche du Scorpion, risquez d'être pincée », il pourrait avoir oublié qu'avant la récupération du Ciel par les pronostiqueurs, l'histoire inscrite sur ce bout de Zodiaque évoquait d'étroites possibilités de connivence (à l'image de la complicité qui fait agir les mains avec la tête). Erratum transmis, la coquille était dans la pince ! (L'astrologie arabe, peut-être plus proche des sources vernaculaires, a conservé aux étoiles de la Balance leur dénomination originelle - Al Zubânâ - qui signifie les pinces [6].)

Cancer ou Capricorne ?

    Avant de laisser le Soleil poursuivre sa course vers le Verseau, je voulais en avoir le cœur net quant à ces deux noms au parfum d'astrologie qui revenaient chaque fois qu'il était question des solstices : tropique du Capricorne et tropique du Cancer. Si je comprenais à quoi correspondaient les tropiques et leur importance dans la succession des saisons, j'évitais d'employer les dénominations Capricorne et Cancer ne sachant jamais lequel était lequel, faute de connaître le pourquoi de ces appellations. Deux petits coups d'œil, un sur les règles (voir Ères de Zodiaque) et un autre sur un globe terrestre, m'ont permis d'en démystifier le contenu (5).
    Lors du solstice de décembre, les rayons les plus chauds du Soleil viennent éclairer le bord inférieur de la ceinture tropicale (le Soleil est alors au zénith de la bordure australe). En regardant sur notre écran la projection du Soleil, sa marque est aujourd'hui repérée sur la « sortie » de la constellation du Sagittaire (règle n°2). À l'époque d'Hipparque, on l'apercevait sur la constellation du Capricorne (règle n°1). Aussi cette bordure particulière, qui est un tropique, a pris le nom correspondant à la constellation « visée » sur la règle de référence, soit tropique du Capricorne. Pour le solstice du mois de juin, c'est la même histoire, mais cette fois avec le bord supérieur, ou boréal, de la ceinture, et la trace correspondante s'appelle - vous l'avez déjà deviné - le tropique du Cancer. L'axe du zénith (position du Soleil à la verticale de la Terre) se déplace donc, d'un solstice à l'autre, entre les deux tropiques, coupant par deux fois, aux équinoxes, l'axe de l'équateur. (Ce dernier a pris un nom qui exprimait sa position médiane (æquare, faire des parts égales), alors qu'en termes de tropiques, l'équateur aurait pu être appelé tropique du Bélier ou tropique de la Balance.)
    Deux latitudes aux résonances exotiques : tropique du Cancer et tropique du Capricorne. Voilà deux dénominations bien actuelles, au sens géographique dûment entériné. Il ne s'agit pourtant que d'attributions issues d'un temps révolu, car ces labels ne sont plus, depuis longtemps, en conformité avec les constellations en conjonction lors des solstices. Et pourtant, ces tropiques ont su conserver leur titre originel. Comment se fait-il que les puristes qui s'insurgent contre le Zodiaque des Anciens n'aient jamais pris la peine de réformer ces deux appellations devenues obsolètes ? Par une telle conversion, la géographie serait-elle mieux servie ? Et qui comprendrait celui qui, aujourd'hui, parlerait des tropiques des Gémeaux et du Sagittaire ?… alors que ce faisant le Ciel lui donnerait raison. Cet original, pour conserver la réalité de sa précision, devrait même d'ici quelques années - lors du prochain changement d'ère - parler des tropiques du Taureau et du Scorpion !

Le sens de l'écran

    Après avoir démasqué le ciel des tropiques, le Zodiaque me semblait prendre un visage plus complice, déjà plus proche de celui qu'avaient dû lui façonner ses concepteurs. Mais il y a eu un moment particulier, résultat comme il se doit d'un concours de circonstances, où j'ai enfin pu l'intégrer sans détour. Ce fut ce soir où nous projetions les diapositives de la mise à l'eau d'Ostinato.

    Le bras géant de la grue venait de soulever Ostinato de son ber de gestation - avant le baptême de l'eau, il fallait passer par le baptême de l'air - lorsque, vision incongrue, la vedette de la cérémonie est réapparue la quille en l'air. Quelque chose n'allait pas… l'écran n'était-il plus dans le bon sens ?
    L'enquête fut brève. Trois éléments : une lampe, une diapositive, un écran. Sans attendre un rapport d'expertise, on convint qu'un seul des trois devait respecter un sens. Quant au sens de l'écran, qu'il soit perlé ou étoilé pour rendre plus lumineuse la projection d'une photo ou d'une planète, il fallut bien convenir que c'était un non-sens… et que le sens commun, un sens tout à fait conforme au sens du Zodiaque, demeurera : les feuilles tombent en automne, le blé mûrit sous le soleil d'été… le printemps sera toujours la saison des amours.

Des failles bien remplies

    Pour avoir appris que la Terre ondule comme une toupie sans avoir retenu que c'est la précision du Zodiaque qui l'a fait savoir, certains hères diplômés, ayant un peu trop taquiné l'émeri, arguant de la dérive stellaire, ne cessent d'anathématiser contre les signes « périmés » du Zodiaque. Certains de ces croisés, les plus affidés, ceux qui ont reçu l'onction de la sacrosainte physique, s'érigent en redresseurs de torts, plaidant, incontinents, la légitimité de la treizième constellation zodiacale ignorée des astrologues. Les drôles ignorent, car l'information, bien que d'origine quantique, a pour eux le parfum d'un âge inculte, que le compte arrêté à douze n'était que le relevé d'un nombre établi par les révolutions lunaires bien avant que l'on sache multiplier. Quant à l'appendice du Serpentaire aperçu entre Scorpion et Sagittaire, nous avons eu l'occasion de voir ce qu'il en était : un pied ! Dérive du Zodiaque, treizième constellation manquante, ces défenseurs de l'orthodoxie scientiste tenaient là, pensaient-ils - et je ne doute pas qu'ils le penseront encore longtemps -, les pièces à conviction qui allaient leur permettre de démasquer la fraude des astrologues et de balayer tous ces signes zodiacaux qui ne riment plus à rien. Dans cette croisade d'arrière-garde de bien-pensants contre l'hérésie, entre censeurs et censés insensés, la place des hermétiques demanderait à être reconsidérée.
    Au grand dam de ces révisionnistes, dans les failles incriminées, on trouve des éléments qui donnent un crédit certain au mode de représentation utilisé, un mode qui privilégie le bon sens. Celui qui, d'un mot, d'un signe, exprime tous les attendus d'une conjonction particulière entre la Terre et le Soleil. Bélier, le printemps est là, le jour a pris le dessus ; Balance, l'équilibre s'inverse à nouveau ; Scorpion, le temps des semailles est revenu. Quant aux constellations, elles ne furent « à l'origine » - et cela n'a pas changé - qu'un regroupement arbitraire d'étoiles fait sur une illusion de proximité (voir Quatre Grandes Années de Cassiopée) destiné, accessoirement, à faciliter un repérage céleste. Au principal, ces regroupements ont contenu les pages du Livre d'Étoiles.
    En réalisant que le Zodiaque subissait une dérive, Hipparque ouvrait la voie à la compréhension d'un phénomène purement « local », géolien. Cette observation s'est révélée essentielle pour interpréter certaines subtilités de la mécanique céleste, et en l'occurrence le mouvement de toupie de la Terre. Alors, quand un de ces preux à l'âme trempée dans l'acide critique vient brandir la répercussion de la précession des équinoxes sur le Zodiaque pour viser l'astrologie qui n'a que faire des étoiles, il ne fait pas que se tromper de cible… il bande simplement son arc à contresens. Je dois à l'« objectivité » d'ajouter que certains astrologues (combien n'est pas la question) feront, dans ce constat que les étoiles n'ont rien à voir avec l'astrologie, une découverte.
    Il est vrai qu'avoir pérennisé un système de repères dans l'exactitude de sa simplicité originelle, un cercle divisé en douze secteurs de trente degrés, est un peu trop simple pour certains ! Cela a pu gêner des esprits épris de sophistication.
    Trop simple ou trop compliqué. « Pourquoi être resté entiché de ce fichu système duodécimal qui remonte à Mathusalem et l'avoir fourré dans tout ce qui affiche un repère de temps ou d'espace : calendriers, montres, chronomètres ou compas… ? » ai-je entendu anathématiser un universitaire, plus bonasse que bonhomme, qui ne voulait se satisfaire que du système décimal. « Qu'ai-je à faire de douze lunes, alors que j'ai dix doigts ? » L'homme ne devait être né ni sous une bonne lune ni sous une bonne étoile pour ainsi bafouer les origines astronomiques, et plus particulièrement sélénites, de ces divisions inscrites dans le Zodiaque, véritable rémanence de la pensée « scientifique ».

Guerre de précession

    Certains astrologues, vraisemblablement dépositaires d'un bagage scientifique parfaitement académique, dans leur transfert vers l'ésotérique sont demeurés, « par construction », au niveau « livresque » de la perception de leur art. Aussi, piqués par l'argumentation sidérale de scientifiques de « haut niveau » et en mal de cette reconnaissance qui autoriserait un rapprochement, mieux une affiliation commune - comme au bon vieux temps où l'astrologie était d'abord l'affaire des « hommes de sciences » -, ces vulgarisateurs des sciences divinatoires font plutôt dans le cocasse. En matamores avertis, ils se livrent, généralement dès leur chapitre d'introduction, à toutes sortes de contorsions logomachiques pour justifier d'une démarche « positive », pour excuser le « dérapage zodiacal » causé par « un mouvement appelé précession » (qu'ils se gardent bien d'expliquer) qui fait « bouger le point de départ du Zodiaque tropical », et pour endosser le point de vue d'un Zodiaque sidéral qui, lui, n'est pas affecté par ce décalage, ou, encore plus saugrenu, d'un Zodiaque tropical avec « correction continue de la précession ».
    Le ridicule de l'affaire - si tant est qu'il y ait une affaire - est que sur cette histoire de « dérive précessionnelle », il semble bien que des deux bords, astrologistes et scientistes, on ne se soit pas vraiment penché sur les arguments de la dispute, car, à y regarder aux origines - celles du cercle d'Hipparque -, on s'aperçoit très vite que de coïncidence entre signe zodiacal et constellation, autre que très partielle, jamais il n'y eut. Hipparque a calé le zéro du cercle zodiacal un beau matin d'équinoxe de printemps, il y a quelque vingt-et-un siècles. Par la raison de cette conjonction, ce jour-là marquait, comme de coutume, le début du mois du Bélier, du mois où la dormance sortait de sa torpeur sans que les étoiles aient à y voir quoi que ce soit… Mais il y avait aussi qu'à cette époque de standardisation des « mensualités », l'ère du Bélier approchait de son terme. Ça, on pouvait le savoir par l'observation du soleil levant qui se trouvait alors à s'aligner avec Mésarthim, étoile de la constellation du Bélier, mais aussi étoile « peu éloignée » de la constellation des Poissons (revoir les règles zodiacales dans le chapitre précédent).
    En fait, à une ère près, la situation actuelle est assez similaire. En cette fin de XXe siècle, la collimation du soleil levant au matin de l'équinoxe de printemps va pointer dans les parages d'une étoile de la constellation des Poissons, pas très loin des étoiles qui composent celle du Verseau. L'ère désignée est donc Poissons, mais avec l'arrivée du printemps, en terme d'almanach, le mois n'a d'autre choix que d'être celui du Bélier. Ce qui fait problème ici pour les esprits par trop rationnels, c'est la symbolique du sens que les Anciens mettaient derrière le Bélier. Le Bélier, l'ouvreur, celui qui passe en premier.
    Question sens du temps, on se serait évité bien des controverses oiseuses si on avait eu le bon sens de préserver le calendrier révolutionnaire qui rétablissait avec bonheur toute la symbolique des vocables mensuels. Les Anciens avaient le mois du Bélier, on aurait eu Germinal. Mais ça, c'était trop païennement beau pour durer. Pour un concordat et un peu de gloriole, Napoléon a sacrifié l'almanach des sans-culottes.
     Aussi les invectives des uns ou les arguties des autres, au sujet d'un alignement de printemps sans objet avec la dispute, n'ont que le mérite de révéler l'état d'une dérive plus sournoise que celle imputable à la précession d'une toupie : la dérive du bon sens.

Quand un Tao rencontre un autre Tao

    Sur le Zodiaque classique, c'est donc le lever de l'astre radieux qui en règle la partition. En guise de contrepoint, j'évoquerai un second Zodiaque, celui de l'astre à la face bonhomme, si proche qu'il doit être fort influent… car la Lune a sa propre voie, elle ne se commet pas avec la bande de vagabonds qui arpentent l'écliptique… Le Chemin de Lune ou Huang Tao, la Route Jaune, c'est ainsi que les Chinois nomment cette voie divisée en vingt-huit segments - les palais de la Lune, chacun frappé d'un emblème animal. La circulation de la Lune sur ce Zodiaque fait l'objet d'une considération attentive qui permet aux autorités en la matière d'établir la liste des dates fastes ou néfastes pour toutes sortes d'activités (affaires, célébrations, rites, etc.). Cette ordonnance sélénite est à la base de l'almanach chinois.
    Projetées sur la toile de fond céleste, les deux routes - le Chemin de Lune et la Voie écliptique - se croisent par deux fois… au niveau des fameux « nœuds » lunaires. Importantes en astrologie, ces intersections sont bien connues et très surveillées, car, si les collisions qui s'y produisent - rencontre d'ombres - n'empêchent pas les orbitants de poursuivre leur course, les ondes de choc, assurent les professionnels de la circulation sur cartes astrales, se propagent et vont rattraper et affecter quelques « récepteurs influençables ».

Schisme tropico-sidéral

    L'astrologie, avec le Zodiaque classique, a donc préservé - à quelques coquilles près - les symboles originaux et n'a pas introduit dans son système de référence des dérives stellaires qui ne la concernaient pas. Pour un « gaucher » peu enclin à accepter rapidement l'irrationnel, il y a dans cette pérennité un aspect que je qualifierais de « rassurant »… bien que sur ce sujet je doive me faire l'écho d'une polémique que j'ai rencontrée en compulsant les colonnes des éphémérides dans l'intention d'y découvrir la date de passage dans l'ère du Verseau. Vous vous souvenez peut-être que cette date n'a pas été mentionnée lorsque plus haut fut évoquée la transition vers l'ère nouvelle. La raison en est la suivante : cette date, qui au dire des experts doit marquer une transition cruciale, fait l'objet d'une controverse entre deux écoles d'astrologie, la « sidérale » et la « sectorielle ». Controverse, mais pas brouille. Simple logomachie entre experts sidéraux ; on ne se déchire pas encore pour cette croyance-là. En fait, comme nous allons le voir, l'objet du litige dans cette lutte d'influences est banalement territorial. Alors, pour être en mesure de « savoir à quoi s'en tenir », ou afin de pouvoir se déterminer « en toute connaissance de cause », quelques éléments d'information supplémentaires sont nécessaires.
    On se rappellera que l'ère en cours est désignée par la constellation pointée par le premier rayon de soleil au matin de l'équinoxe de printemps.
    Les tenants de l'option sidérale considèrent que l'entrée dans l'ère du Verseau se fera lorsque le soleil d'équinoxe mettra sa marque sur le début de la position sidérale de la constellation du Verseau, c'est-à-dire sur la bordure de la constellation telle qu'elle a été géométriquement configurée sur la voûte céleste (6). Pour bien comprendre ce que signifie cette façon de voir, rien de tel qu'un coup d'œil sur la carte du ciel dans le secteur du Verseau. L'empattement des contours polygonaux attribués à cette constellation lui confère une place de taille. Sur l'anneau du Zodiaque, l'empattement sidéral du Verseau dépasse largement les limites du secteur « réglementaire » de trente degrés qui lui fut assigné par Hipparque. En d'autres termes, en choisissant de fixer le début de l'ère du Verseau en coïncidence avec l'entrée sidérale de cette constellation, on « anticipe » sur l'entrée du secteur « Verseau » du cercle zodiacal.
    La majorité des astrologues occidentaux ne partage pas cette façon de voir quant à l'affectation des ères et à leur date de prise de fonction. Ils ont choisi de conserver les divisons originelles en considérant le seul glissement dans le temps des constellations, secteur par secteur, douzième par douzième. D'après cette règle, l'entrée dans l'ère du Verseau coïncidera avec le passage du premier soleil d'équinoxe de printemps sur l'entrée du douzième réglementaire qui accompagne la constellation du Verseau.
    En pratique, ces deux approches conduisent-elles à une différence qui justifie la polémique ?
    Avec l'option sidérale, la transition Poissons-Verseau est en cours, l'entrée dans l'ère du Verseau est imminente et coïncidera à peu près avec le début du XXIe siècle. Avec l'option sectorielle, la prochaine année émergente se fera attendre jusqu'au XXIIe siècle : inauguration « officielle » de l'ère nouvelle prévue pour le printemps 2137. Une différence d'environ un siècle. À peine l'espace d'un clin d'œil dans une vie de cosmos, mais plus que le temps d'une vie pour un humain pressé, et si entiché de gaudrioles astrales.
    Voilà pour les données du problème. Chacun aura le loisir de se déterminer en fonction de son analyse, de sa compréhension, de ses convictions ou… de ses intérêts.

À symbole, symbole et demi

    Pour ma part, j'ai pris une option… la sidérale, celle qui dit que l'entrée dans l'ère du Verseau est imminente. Position apparemment paradoxale au vu des réflexions qui précèdent, et qui demande un brin d'explication. Elle sera assez simple, car les éléments qui la motivent ne sont pas au nombre des considérations jusqu'ici étalées.
    Après avoir considéré l'argumentation de chacune des deux écoles, mon idée première me portait à me rallier à l'option sectorielle. C'est elle qui semble le mieux conserver les éléments de division enchâssés dans la tradition, alors que l'option sidérale adopte une démarche et une sensibilité de cartographe. Question de feeling.
    Alors, pourquoi choisir une option sans âme ? Ou même, pourquoi choisir, tout court ?
    Apparemment sans âme, car dans ce jeu des signes et des symboles, les apparences sont des atouts maîtres. Aussi, ayant opté pour une voie où l'irrationnel occupe sa part de terrain, il appert que choisir de vivre un changement d'ère ne suit pas nécessairement les implications d'un concept aux rigueurs rationnelles. L'aube d'une ère nouvelle, surtout lorsqu'elle est plus emblématique qu'historique, autorise, ou mieux libère bien des audaces, et c'est par cette liberté que le symbole trouve à s'objectiver, rejoint le réel.
    En choisissant l'option sidérale (celle qui veut, en adoptant l'arbitraire des frontières des constellations, que la transition Poissons-Verseau soit amorcée), je ne confère en rien aux étoiles de la future constellation-pilote un pouvoir quelconque, je place simplement - homo credens quelque part comme tout un chacun - dans cette transition allusive, illusive aussi, l'augure d'une nouvelle vague de transformations, l'accomplissement d'un état de révolution permanente…
    … En somme, rien de plus que l'évolution courante… Évolution qui avec un coup de pouce, pour le coup proprement propitiatoire, pourrait - si on la laissait faire - se laisser aller à promouvoir une génération assez futée pour faire le constat de l'obsolescence de toutes les homocraties et assez hardie pour lever le voile qui occulte la sapiencratie.
    Demain, l'épiphanie ?
    Prodrome onirique d'abord !


(1) Traduction de Lucienne Portier.

(2) Cette singularité est plus détaillée dans l'annexe Cartes en kit qui contient suffisamment de rudiments pour construire soi-même sa carte personnalisée.

(3) Humeur patrimoniale oblige : la France ne s'alignera sur le méridien britannique qu'en 1910.

(4) Période de quatre années révolutionnaires.

(5) Pour visualiser les arguments de ce qui suit, il suffit de retourner à la planche des règles zodiacales et de la ceinture intertropicale, et de tracer deux axes verticaux, de part en part, dans l'alignement des deux solstices.

(6) Le découpage « sidérographique » de la carte du ciel a été dûment entériné par l'Union Astronomique Internationale en 1927.


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